Ce texte est une adaptation d'un texte original de Pierre Gambini. Dans un mécanisme d'intertextualité amicale, Pierre Savalli nous le propose en sollicitant que l'oeuvre originale puisse aussi connaître l'espace virtuel de Praxis. Nous ne demandons pas mieux.
A cette heure où le jour dispute sa place à la nuit, et où les ombres se confondent entre elles, le faisceau de mes phares dessina leurs contours indécis.
Dix, douze peut-être, fins, souples, féminins ; gesticulant, glissant le long de la route. Des débris luisaient sur le bas-côté, colorés, étincelants.
Avec précision, chacun d’eux s’acharnait sur ce qui semblait être un téléphone. Combat cyber-technologique entre l’homme et la machine dont l’issue ne pouvait être approximative, et où le moindre circuit, la moindre puce devaient être détruits, réduits en miettes high-tech.
Leurs gestes étaient d’autant plus violents, qu’ils étaient exécutés avec la froide sérénité de celui qui accomplit sa tâche.
Planté dans un arbousier, le nez de ma voiture réchauffait le maquis humide dégageant une odeur douce-amère et suffisamment musquée pour m’extirper de mes songes. Arrêté sur le bas-côté, je m’étais rangé sans précaution, absorbé par ce ballet post-moderne.
Je m’approchais de l'un d'eux, curieux de comprendre. Ma présence apparaissait comme une anomalie, et à la seconde où je croisai son regard, je sentis que c’était moi le plus étrange de tous.
Vierge comme on ne peut l’être qu’au premier jour de sa vie, je ne vis en lui que beauté et passion.
Je ne pouvais accepter de me soumettre passivement à cette force subjective. Je puisais dans mes souffrances, dans mes doutes, pour sortir de ces yeux elfiques et affirmer ma présence. Je n’étais qu’à quelques mètres de chez moi, sur des terres amies, des terres foulées par les miens depuis tant de générations que je ne pouvais vaciller ici, encore moins mettre genoux à terre. Je lui rendis donc son regard.
Mais comment rendre un regard à une Gorgone ? Comment défier ces yeux si noirs, si brillants, si fixes. Submergé par des sensations contradictoires, mon cerveau s’embrouillait.
Je restais là, hagard, attendant une réaction, espérant que l’un d’eux prenne l’initiative.
Le silence me répondit.
Ce visage de glace et de quartz me renvoyait une image de moi à la fois fidèle et étrange. Je lui ressemblais, à moins que ce ne fût le contraire.
Mon corps dut imperceptiblement les inviter à me suivre, car il parut naturel à chacun de prendre la direction de ma demeure.
L’empreinte des morts et les rires de vivants faisaient de ce lieu un havre constant, un isthme infranchissable, un royaume rassurant où passé, présent et futur se confondaient.
Les miens les accueillirent comme ils auraient accueilli n’importe lequel de mes amis. Ils leur offrirent à manger, et lorsque je fouillai mes poches pour leur donner ce que j’avais, mon frère suivit mon geste. Ils ne refusèrent pas.
Je ne leur faisais pas l’aumône, je leur donnais ce qu’il était le plus facile à donner. Il fallait que je donne, l’acte s’imposait. Je leur devais quelque chose, je le sentais, et même s’il était évident que ce n’était pas de l’argent qu’ils attendaient de moi, mon geste sembla inévitable.
Le soleil était là, aubes systématiques, et en cette clarté nouvelle, ils me parurent plus beaux encore. L’air vibra, et sans qu’ils bougent, sans qu’ils ouvrent la bouche, l’air résonna. Mes yeux ne purent voir cette chorégraphie, mes oreilles ne purent entendre ces chants, car seuls les rêves peuvent produire d’aussi belles choses.
Nul mot, nul geste, juste une larme dont l’éclat stellaire répondait à la visite de mes muses.
Pierre Savalli, Pierre Gambini
A cette heure où le jour dispute sa place à la nuit, et où les ombres se confondent entre elles, le faisceau de mes phares dessina leurs contours indécis.
Dix, douze peut-être, fins, souples, féminins ; gesticulant, glissant le long de la route. Des débris luisaient sur le bas-côté, colorés, étincelants.
Avec précision, chacun d’eux s’acharnait sur ce qui semblait être un téléphone. Combat cyber-technologique entre l’homme et la machine dont l’issue ne pouvait être approximative, et où le moindre circuit, la moindre puce devaient être détruits, réduits en miettes high-tech.
Leurs gestes étaient d’autant plus violents, qu’ils étaient exécutés avec la froide sérénité de celui qui accomplit sa tâche.
Planté dans un arbousier, le nez de ma voiture réchauffait le maquis humide dégageant une odeur douce-amère et suffisamment musquée pour m’extirper de mes songes. Arrêté sur le bas-côté, je m’étais rangé sans précaution, absorbé par ce ballet post-moderne.
Je m’approchais de l'un d'eux, curieux de comprendre. Ma présence apparaissait comme une anomalie, et à la seconde où je croisai son regard, je sentis que c’était moi le plus étrange de tous.
Vierge comme on ne peut l’être qu’au premier jour de sa vie, je ne vis en lui que beauté et passion.
Je ne pouvais accepter de me soumettre passivement à cette force subjective. Je puisais dans mes souffrances, dans mes doutes, pour sortir de ces yeux elfiques et affirmer ma présence. Je n’étais qu’à quelques mètres de chez moi, sur des terres amies, des terres foulées par les miens depuis tant de générations que je ne pouvais vaciller ici, encore moins mettre genoux à terre. Je lui rendis donc son regard.
Mais comment rendre un regard à une Gorgone ? Comment défier ces yeux si noirs, si brillants, si fixes. Submergé par des sensations contradictoires, mon cerveau s’embrouillait.
Je restais là, hagard, attendant une réaction, espérant que l’un d’eux prenne l’initiative.
Le silence me répondit.
Ce visage de glace et de quartz me renvoyait une image de moi à la fois fidèle et étrange. Je lui ressemblais, à moins que ce ne fût le contraire.
Mon corps dut imperceptiblement les inviter à me suivre, car il parut naturel à chacun de prendre la direction de ma demeure.
L’empreinte des morts et les rires de vivants faisaient de ce lieu un havre constant, un isthme infranchissable, un royaume rassurant où passé, présent et futur se confondaient.
Les miens les accueillirent comme ils auraient accueilli n’importe lequel de mes amis. Ils leur offrirent à manger, et lorsque je fouillai mes poches pour leur donner ce que j’avais, mon frère suivit mon geste. Ils ne refusèrent pas.
Je ne leur faisais pas l’aumône, je leur donnais ce qu’il était le plus facile à donner. Il fallait que je donne, l’acte s’imposait. Je leur devais quelque chose, je le sentais, et même s’il était évident que ce n’était pas de l’argent qu’ils attendaient de moi, mon geste sembla inévitable.
Le soleil était là, aubes systématiques, et en cette clarté nouvelle, ils me parurent plus beaux encore. L’air vibra, et sans qu’ils bougent, sans qu’ils ouvrent la bouche, l’air résonna. Mes yeux ne purent voir cette chorégraphie, mes oreilles ne purent entendre ces chants, car seuls les rêves peuvent produire d’aussi belles choses.
Nul mot, nul geste, juste une larme dont l’éclat stellaire répondait à la visite de mes muses.
Pierre Savalli, Pierre Gambini