
J'aime Houellebecq. J'aime sa fragilité attendrissante, j'aime sa culture, j'aime ses obsessions mélancoliques. J'aime l'idée qu'il puisse être une âme pure et intelligente désorientée dans le monde qui est le nôtre et emprisonnée dans un corps malingre. J'ai l'impression de le connaître et de le comprendre, car, comme peut le dire le protagoniste de son dernier roman:
« Seule la littérature peut vous donner cette sensation de contact avec un autre esprit humain, avec l'intégralité de cet esprit, ses faiblesses et ses grandeurs, ses limitations et ses petitesses, ses idées fixes, ses croyances; avec tout ce qui l'émeut, l'intéresse, l'excite ou le répugne ».
Soumission est sorti le 07 janvier, malencontreux hasard du calendrier ne nous permettant pas de ne pas faire un parallèle entre l'un des thèmes développés dans son roman et l'horrible actualité.
Caractérisé de satire politique, de roman d'anticipation ou encore de politique fiction, Soumission ne peut se réduire à ça. Tous les éléments du décors de sa fiction sont des prétextes à la mise en valeur des maux contemporains.
Dans une France de 2022, François, le protagoniste, est un universitaire quadragénaire spécialiste de Huysmans. Il est désespérément seul, détaché de tout et parfois tenté d'imaginer qu'il n'est pas né à la bonne époque.
Parallèlement à sa molle crise existentielle se mettent en place les classiques et récurrentes élections présidentielles que François ne regarde que de loin, peu intéressé par ce qu'il imagine être sans surprise et sans conséquence.
Mais voilà, le charismatique leader du parti "Fraternité Musulmane", Mohammed Ben Abbes est élu président de la République et tout son environnement va radicalement changer.
Conscient que ces bouleversements ne sont pas justes pour une bonne partie de la population (notamment les femmes), François n'a, malgré tout, jamais été un "combattant" et n'imagine même pas se rebeller. Il reste dans ce Paris métamorphosé sans qu'il s'y sente bien mais sans non plus avoir la nostalgie de ce qu'il fut. Comme il peut le dire à sa jeune maîtresse juive, Myriam, le jour de leurs adieux, il ne part pas de Paris simplement car il n'existe pas d'idéal pour lui, ni ailleurs, ni dans le passé, "Il n'y a pas d'Israël pour moi".
Et puis François rencontre Robert Rediger. Sorte de John Milton dans le film L'associé du Diable (personnage interprété par Al Pacino). Rediger est l'un des marionnettistes de cette France du futur, en charge de la nouvelle Sorbonne.
Page 260, lors d'un entretien, il explique à François en quoi il pourrait être séduit par les préceptes du mouvement "Fraternité Musulmane".
"L'idée renversante et simple, jamais exprimée auparavant avec cette force, que le sommet du bonheur humain réside dans la soumission la plus absolue".
Insidieusement François se laisse envoûter par cet argumentaire ciblé, lui, constamment dépassé par l'intendance du quotidien, les différents maux que lui infligent son corps et cette peur tyrannique de mourir seul.
Soumission n'est en aucun cas un essai sur la place de la religion dans la société mais une réflexion sur la lâcheté quotidienne et le périlleux libre arbitre.