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Atelier littéraire


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    Contrat (Xavier Casanova)

    Marco B
    Marco B
    Admin

    Messages : 422
    Date d'inscription : 30/01/2013
    27022014

    Contrat (Xavier Casanova) Empty Contrat (Xavier Casanova)

    Message par Marco B

    Le jeudi, c'est la journée ouvrable où la revue reçoit des textes de contributeurs extérieurs, ou bien encore où l'on met en ligne les traductions de textes publiés en corse (ou autre). Comme premier contributeur extérieur : Xavier Casanova, l'animateur du blog Isularama. Encore un qui est attaché à la praxis.

    Contrat (Xavier Casanova) Freder10

    « Fais-lui plaisir, dit-il, va la voir. Ecris pour elle. Elle ne lit pas. Elle adore voir écrire. Les écrivains, surtout. Tu montres un de tes livres. Tu sors un cahier vierge. Rien que pour elle. Du vergé pur chiffon. Un Jésus. In octavo. Relié en carton fort sous papier marbré de Venise. Coins noirs, en toile de lin. Tu la regardes. Tu prends un feutre. Elle croit encore aux corps en bakélite noire, aux pompes et aux plumes en or. Donc, tu l’étonnes. Ton stylo est monté dans un corps en verre. Volutes colorées. Murano, dis-tu. Sous ces espèces, elle accepte le feutre. Tu écris. Elle admire. Tu souris, elle sourit. Tu soupires, elle sourit encore. Elle incline la tête. Encouragement. Ça va durer deux bonnes heures, si elle a pris ses précautions. Toi, tu as pris les tiennes. Tu sais qu’on ne monte pas au front la vessie pleine. Tu as pissé dans l’arrière cours avant de tirer la sonnette. Tu n’as qu’un étage à monter. Il ne t’en faut pas plus pour te concentrer. Observer. Avec les pieds. Compter les marches. Multiplier par 17. Ça donne une bonne approximation de la hauteur sous plafond. Exprimée en centimètres, bien sûr. Convertir. Trois bons mètres. C’est plus qu’il n’en faut. Tu es heureux. Tu seras au large. Tu ne supportes plus ta mansarde. Si tu lèves la tête, tu t’y cognes aux poutres. Tu y écris donc en courbant l’échine. Tu n’es debout que face à la lucarne. Le néant des toits à perte de vue. Des fumées âcres. Les plaintes des pigeons. Une pluie fine et obsédante. Toutes les nuances du gris. Sauf, seules tâches de couleur, des mousses jaunissant entre les ardoises. Parfois. Alors, fais-lui plaisir. Va la voir. Ecris pour elle. »

    * * *

    Il est 19 heures ? Je sursaute. Pas vu passer le temps. Elle doit m’attendre. Je n’ai pas de cahier. Rien que des feuilles volantes. Je n’ai pas de feutre, non plus. Toutes les boutiques ferment à 19 heures ! Je descends en courant. Escalier en colimaçon. Un vortex qui t’aspire vers la concierge. Tu tombes nez à nez avec sa tête. Elle dépasse du mur. Petite fenêtre sur le corridor. Pas feutrés ? Elle reste derrière le rideau. Pas assurés ? Elle colle le nez à la vitre. Pas doublés ? Elle entrouvre la fenêtre. Tu dévales en trombe ? Elle passe la tête. Parfois le buste. « Ben alors ? Qu’est-ce qui vous arrive ? » Tu reprends ton souffle. Tu expliques. Elle te rassure. « Galerie marchande, pardi ! C’est ouvert jusqu’à 10 heures. » Tu vois ? Tout s’arrange. C’est vrai ! Librairie papeterie. Tu cours. Traverser cette putain de place. Travaux. Prendre la passerelle. Purin ! Elle finit jamais ? Cul de sac. Encore un escalier en colimaçon. Qui arrive où ? Un square. Un groupe de personnes. Ils attendent. Le bus ? Non. Ils veulent traverser. Silence. Plus un seul véhicule. Ça court de l’autre côté. Je suis le mouvement. Mais elle est où cette galerie marchande ? Là ! Au bout d’une grande place. Fontaine monumentale au milieu. Plus loin, une grande façade en verre. Entre les deux un fatras de troncs d’arbres. Faut enjamber. Courir dessus. Des fûts droits. Du pin laricio, certainement. Ils roulent. Je vais perdre l’équilibre. Au dessus d’un fossé. Je saute. Sur un toit. C’est une terrasse. Desservie par un escalier en colimaçon. Encore ! Il m’aspire. Me retrouve dans un salon. Une famille. On regarde la télé. Les informations. Le 20 heures. Déjà ? Je balbutie. « La librairie ? Où est la librairie ? » On me montre la porte. Un couloir. Au fond, un homme au milieu de piles de cartons. Menaçant. « Que faites-vous là ? C’est la réserve. Interdit au public. » Une porte s’ouvre. C’est le libraire. M’attrape par la manche. « Vous voulez quoi ? » J’explique. « Un cahier et un feutre. » Il me tire vers les cahiers. M’en montre un. « Non ! pas de réglures seyes ! Des feuilles blanches. Avec une couverture rigide. » J’en vois un. C’est pas du marbré vénitien mais de la moleskine noire. Tant pis, c’est rigide. Et ça se ferme avec des rabats. Un bouton pression, aussi. Je prends. « Les pages blanches sont en promotion. On fait 95 % de réduction. » J’ai des sueurs froides. Pas assez cher pour payer en chèque. Je n’ai pas de liquide sur moi. Rien. Pourvu que le feutre ne soit pas en promotion ! « Pour le feutre, j’ai ce qu’il vous faut. » Il m’entraîne en courant vers un autre rayon. Il lance le bras vers l’étagère. Il me met sous le nez un objet oblong. Très coloré. Je prends. J’enlève le capuchon. Apparaît une pointe biseautée blanche, avec un filet bleu au milieu. « C’est pas un feutre ! C’est pas un feutre pour écrire ! » Il me toise. « Non ! Mais c’est ça ce qu’il vous faut. » Sardonique. « Un effaceur. Un e-f-f-a-c-e-u-r. »

    * * *

    Elle me sourit. Je soupire. « Je n’avais, dit-elle, jamais vu un écrivain s’endormir sur la page blanche. Tressauter aussi, parfois. Gardez tout. Précieusement. La prochaine fois, c’est ça que vous mettrez noir sur blanc. » Elle me congédie. « Sublime ! C’était sublime. Mille fois merci. » Dans l’escalier, j’entendrai un bruit de chasse d’eau. Le point final.

    Xavier Casanova

    Illustration : John Frederick Peto, "Take your choice", 1885, National Gallery of Art, Washington.
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