Olivier Jehasse, pour un hommage à Praxis ? Ou à la neige tardive qui nous donne des envies d'ailleurs ? Peu importe à vrai dire, et l'on retrouve Antoine et ses fulgurances, Antoine et ses pulsions étranges et mortifères.
On ne sait jamais comment les jours se font, même si on a un peu de culture ou un simple bon sens de l’orientation ou des jeux de la lune sur la terre. Antoine était perplexe. La journée avait commencé sous un soleil brillant, puis des trombes d’eau s’étaient déversées sur lui, puis le soleil était revenu, en même temps que l’électricité d’ailleurs, ce qui dans son pays était chose naturelle. Il vivait au pays de l’équation : une goutte, une coupure ; une pluie, deux heures sans ; une averse forte, quatre heures sans... et hormis la cheminée ou la sieste il ne restait rien d’autre à faire qu’attendre.
Et vraiment on ne sait jamais comment les jours se font car brusquement dans le silence étouffé de ce début d’après-midi où la nuit le disputait au jour, où on ne savait plus si c’était le jour ou si c’était la nuit, il entendait malgré tout dans son demi-sommeil post-prandial sa machine couiner au fond de la pièce, comme si le réseau se foutait de l’orage, comme si les accrochés de la technologie surpassaient par la force de leur désir les manques criants de l’énergie officielle. Et Antoine, qui avait bon caractère comme chacun le savait..., rouspétait à demi-inquiet et à demi-content de savoir que des choses inexplicables étaient encore possibles dans ce monde.
En soupirant il se leva et releva le capot de sa machine. Il eut un haut-le-cœur en découvrant son écran rempli de formes étranges où des lignes et des lignes soigneusement rangées les unes à côté des autres clignotaient furieusement. Il ne comprenait pas ce qui était écrit, tout était comme de l’écriture, mais il ne connaissait plus son alphabet, il avait l’impression d’être devant un message codé comme ceux que son grand-père rédigeait dans des grottes furtives il y avait bien longtemps.
Et pourtant Antoine des extra-terrestres il n’en avait pas peur, des espions de la NSA non plus, mais là il était franchement inquiet, car il voyait bien que c’était des vivants de chez lui qui bougeaient encore. Et ça c’était terrible ! Vous vous rendez compte ! Alors que le monde s’épuisait en vacuités, que l’on appelait du plus beau titre politique, César, des récompenses inutiles à des artistes tellement subventionnés qu’ils en oubliaient de jouer ou d’apprendre leur rôle, ceux-là, ils bougeaient, ces hommes, ces femmes, ces jeunes, ces moins jeunes, et ils osaient parler, et ils osaient transcrire des émotions, des joies, et horreur absolue, ils osaient parler de leurs lectures !!
C’était ça le plus grave. Ils savaient lire et ils osaient le dire. Épouvanté Antoine repoussa avec brutalité le capot de la bête à mauvaises nouvelles, se passa la tête sous l’eau, observa avec son putain de sourire qui ne le quittait jamais la neige qui désormais voletait devant sa fenêtre, et après avoir soupiré, se vida un chargeur plein entre les deux yeux. De l’avantage d’avoir du beau matos quand le beau et le vrai surgissent subitement pour vous rappeler votre absolue déshérence…
Olivier Jehasse
[/justify]