Un extrait d'un scénario de film en écriture (Trois Cavaliers / Trè Cavaglieri). Avec Jérôme Luciani et Marco Biancarelli à la manoeuvre.
Synopsis Trois Cavaliers (idée générale) :
Trois frères aux relations distendues, dont on a volé le bétail et tué le plus jeune membre de la famille, se mettent en ordre de marche pour récupérer leur bien et venger leur frère assassiné. Ils suivent le chemin des voleurs et font des rencontres édifiantes avant de les retrouver. Leur chemin croise celui d’un colporteur malicieux, qui va les aider dans leur quête, d’une veuve dont l’aîné tombe amoureux, et d’un marchand de bêtes cruel et implacable auquel ils doivent se confronter. Cette lutte tragique, si elle révèle et affirme les caractères des protagonistes, débouchera sur l’émigration définitive des survivants.
34. EXT./JOUR – MARC-ANTOINE ET LE MOUFLON.
Marc-Antoine part à pied dans la forêt et les rocailles (il possède une réelle élégance dans cet élément qui est le sien, et qu’il retrouve), il découvre les traces d’un mouflon, les suit, on mesure en lui l’excitation du chasseur. Il prend sa longue vue, scrute la falaise, aperçoit le mouflon, s’approche en silence. Il agite un mouchoir blanc qui intrigue l'animal. Marc-Antoine l’a dans sa ligne de mire, il a épaulé son fusil…. il ne tire pas, abaisse son arme, le mouflon part après quelques secondes.
35. EXT./NUIT – AU BIVOUAC.
A la nuit tombée, il rejoint le campement, où ses frères l’attendent autour du feu, face à l’abri. Horace est appuyé contre un rocher, un peu avachi, et déjà à moitié enveloppé dans sa couverture. Baptiste attise le feu, il est accroupi un tison à la main. Marc-Antoine s’en approche et accroche ses affaires à une branche. Il sent qu’on lui fait un peu la gueule, notamment le plus jeune frère.
HORACE (sarcastique)
Ùn ha’ tumbu nudda ? Ghje’ ti cridia u cacciadori di a famidda…
(Tu n’as rien tué, je croyais que tu étais le chasseur de la famille…)
MARC-ANTOINE
Innò, ùn aghju tumbu nudda. Circa d’ùn avè micca sempri calcosa à cuntà. È postu chì tù parli di a famidda, inveniti chì u maiori socu eu.
(Non j’ai rien tué. Evite d’avoir toujours quelque chose à dire. Et puisque tu parles de la famille, oublie pas que l’aîné c’est moi.)
HORACE
Dicu solu ch’e’ n’aghju una tichja di sciaccammi u fasgiolu. Sì no duvemu mova, ch’o mancu no manghjimu comu ci voli.
(Je dis juste que j’en ai un peu marre de bouffer ces haricots. Si on doit être en expédition, qu’au moins je mange à ma faim.)
Marc-Antoine le regarde un peu dépité, en se retenant de l’envoyer paître, tandis que Baptiste, le regard en biais, s’affère près du feu et paraît saisir l’agacement de Marc-Antoine.
HORACE (toujours pénible)
Ostia, semu affidati. Durmimu in tarra com’è paciaghji, ci cutremu è in più patimu a fami.
(Putain, on est bien lotis. On dort par terre comme des moins que rien, on se gèle et en plus on doit crever la dalle.)
MARC-ANTOINE
Ha’ dicisu d’essa pinibuli. A prossima volta piddarè tù u fucili, è andarè à caccighjà. Tandu vidaremu.
(Tu as décidé d’être pénible. Alors la prochaine fois tu prends ton fusil et c’est toi qui vas chasser. On verra bien.)
BAPTISTE
Chiteti, approntu calcosa. (en s’adressant à Horace…) Ùn hà mancu u tortu. Di fatti ci fatichi. Veni è manghja, è prova à stà bassu un pocu.
(C’est bon, je prépare quelque chose. (en s’adressant à Horace…) Il a pas tort. En fait tu nous fatigues. Viens manger et essaie de la mettre en veilleuse.)
HORACE (en entendant un bruit assez vague)
Mì chì quì ci hè calchì ad unu chì s’avvicina !
(Eh ! Y a quelqu’un qui approche, là !)
Alors qu’on entend effectivement des pas de chevaux, ils prennent leurs armes et se mettent sur le qui-vive. Un homme approche, il est sur un cheval suivi cette fois d’un âne un peu grotesque. L’homme, que l’on distingue avec difficulté dans l’obscurité, demande l’hospitalité. C'est le colporteur.
LE COLPORTEUR (surgissant de l’obscurité)
È Diu dissi : « Ci sarani i luminarii in u firmamenti di u celi… è ‘ddi siini cenni ». Amici, aghju vistu u vosciu focu, è ci aghju vistu un cennu.
(Et Dieu dit : « Qu’il y ait des luminaires dans le firmament du ciel… et qu’ils soient des signes ». Amis, j’ai vu votre feu, et j’y ai vu un signe.)
Il apparait à la lumière du feu, et les frères découvrent qui il est. Marc-Antoine le reconnaît.
LE COLPORTEUR
Accittareti ch’un perigrinu sbandatu prufitessi una stunda di u calori di stu focu ?
(Accepterez-vous qu’un pèlerin égaré profite un instant de la chaleur de votre feu ?)
MARC-ANTOINE
Cridiu tù avissi capitu ch’eru duru à cunvirtiscia, Draculinu. Ma ben sicura chì tù po’ sparta ‘ssu focu cù i malcridenti chì no semu.
(Je croyais que tu avais compris que j’étais dur à convertir, Colporteur. Mais tu peux bien sûr partager ce feu avec les mécréants que nous sommes.)
LE COLPORTEUR
Se tù o Capità…
(C'est toi capitaine…)
MARC-ANTOINE (amusé)
Vicu chì tù ha’ barattatu a to mula pà unu staddonu magnificu… (un plan sur l’âne grotesque qui accompagne le Colporteur) Ci avarè vintu à u scambiu, spergu.
(Je vois que tu as fourgué ta mule pour ce magnifique étalon… (un plan sur l’âne grotesque qui accompagne le Colporteur) Tu y as gagné au change, j’espère.)
LE COLPORTEUR
I circustanzi è u distinu. T’aghju dighjà parlatu di ‘ssi cosi quì. Po’ a vita di u vindarolu cheri uni pochi di cumprumissi ch’ùn ci l’aspittemu micca.
(Les vicissitudes du destin. J’ai déjà dû te dire quelque chose par rapport à ça. Et puis la vie de marchand ambulant comporte quelques compromis inattendus.)
HORACE (se tournant vers Marc-Antoine qui ne lui répond pas)
Cunnosci ‘ssu ghjirandulonu ?
(Tu connais ce vagabond ?)
LE COLPORTEUR
‘Ssa mulaccia t’hà puri calchì qualità. È prima quidda di pudè middurà parpena l’urdinariu, u vosciu mi pari misaru. Aghju vistu i campamenta dund’ì a carri era scarsa, u vosciu mi rendi tristu in particulari.
(Ce bourricot a malgré tout quelques qualités. Et en premier celle de pouvoir charrier de quoi améliorer votre ordinaire, qui m’a l’air un peu triste. J’ai vu des campements où la chair était maigre, le vôtre me fait particulièrement pitié.)
MARC-ANTOINE (encore amusé)
Sì tù parli cussì, ti pudemu ancu accodda tutta a nuttata. Chì hè chì tù ci pruponi ? (et narquois) O Rà, chì ni dici…
(Si tu parles comme ça, il se peut qu’on t’autorise même à passer la nuit ici. Tu as quoi à offrir ? (et narquois) Hein ? Horace…)
36. EXT./NUIT – LES HOMMES AUTOUR DU FEU.
MARC-ANTOINE
Veni puri è riscaldati, o Draculì. Mi faci piaceri di vedati.
(Viens donc te réchauffer, Colporteur. Ça me fait plaisir de te voir.)
Le colporteur s’approche du feu en se frottant les mains.
LE COLPORTEUR
T’aghju u pan’ di granu… a misgiscia… È subratuttu un vinu di quiddi !
(J’ai du vrai pain… de la viande séchée…. Et surtout un vin sauvé des batailles !)
L'ambiance est amicale, le colporteur apporte de l'animation et de la joie de vivre. Il n’y a guère qu’Horace qui continue à être un peu renfrogné.
MARC-ANTOINE
Sò i me fratedda, Battistu è Araziu… Dopu, mi ferma un pocu di tabaccu. A so chì tù l’ha’ appriziatu.
(Voici mes frères Baptiste et Horace… Pour plus tard, il me reste un peu de tabac. Je sais que tu l’as apprécié.)
LE COLPORTEUR
Dicu ancu di sì à quiddu tabaccu. Chì ci feti par quì, vo trè ?
(Je dirais pas non à ton fameux tabac. Qu’est-ce que vous faites par ici, tous les trois ?)
MARC-ANTOINE
Ci ani arrubbatu i vacchi. Sicuramenti i furadori missi p’è u nordu. I ricirchemu.
(On nous a volé nos vaches. Sûrement des types partis vers le nord. On est à leur recherche.)
Le colporteur déballe joyeusement sa marchandise.
LE COLPORTEUR
Una spidizioni ! T’aghju tuttu ciò chì vi abbisogna, cuperti, manteddi pà l’acqua, munizioni…
(Une expédition ! J’ai tout ce qu’il vous faut, couvertures, capes de pluie, munitions…)
Ils discutent tout en se mettant à manger, des victuailles passent de main en main.
BAPTISTE
Passi a to vita p’è i stradi, ùn hè cussì ?
(Tu passes ta vie sur les routes, pas vrai ?)
LE COLPORTEUR
Sceltu ùn aghju micca, ma hè a me vita cussì, à pocu pressu. Diu hà vulsutu chì a me famidda ùn pussidissi micca tarrena. I me frateddi, iddi, erani ghjurnataghji, ùn li hè tantu riisciutu, mi pari. Allora eu aghju presu i violi. Ùn la vulia a so vita. Ùn aghju l’anima à fà u servu. Ci voli à creda chì certi sò nati pà zimbà a schienna, è d’altri pà essa libari.
(J’ai pas choisi, mais c’est à peu près ma vie, oui. Dieu a voulu que ma famille ne possède aucune terre. Mes frères, eux, ils vendaient leur force de travail à la journée, j’ai pas trouvé que ça leur réussissait. Alors moi j’ai pris les chemins. Je voulais pas de leur vie. J’ai pas l’âme de la servitude. Il faut croire que certains sont nés pour courber l’échine, et d’autres pour être libres.)
BAPTISTE (un peu provocateur)
Sarè unu spezia di banditu, tandu. Metti i to passa in quissi di Tiadoru Poli… A sa’ com’iddi finiscini ‘ss’aienti quì.
(Tu es une sorte de rebelle, alors. Tu mets tes pas dans ceux de Théodore Poli… Tu sais comment ils finissent ces gens-là.)
LE COLPORTEUR
Tiadoru Poli era à quiddi tempi. Ùn credu micca chì da tandu ‘ssu paesu avissi cunnisciutu i banditi ch’erani banditi da veru. Hè solu a me vita. Ùn hè Diu à avè dittu chì i So fiddoli sariani libari, è ch’iddi pudariani manghjà tutti i frutti di l’ortu ?
(Théodore Poli c’était il y a longtemps. Je crois pas que depuis, ce pays ait connu des gens qui étaient des vrais rebelles. C’est juste ma vie. Dieu n’a-t-il pas dit que Ses fils devaient être libres, et qu’ils pourraient manger de tous les arbres du jardin ?)
MARC-ANTOINE
Hà dittu dinò Diu chì tù ùn manghjaristi micca u fruttu di a cunniscenza. A sa’ bè chì à ‘ssu paesu ùn l’agradiscini i spiriti libari.
(Dieu a dit aussi que tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance. Tu sais que ce pays n’aime pas les esprits libres.)
LE COLPORTEUR
Forsa sì… Ma cunnoscu i distina peghju chè u meiu. Vocu è vengu, una donna quà è ddà, in ugni paesu. È appressu à tuttu, ùn hè mai chè quissa.
(Peut-être… Peut-être… Mais je connais des destins pires que le mien. Je vais, je viens, une femme par ci par là, dans les villages. Et après tout, ça n’est que ça.)
HORACE (cette fois intéressé)
In ugni paesu ?
(Dans tous les villages ?)
MARC-ANTOINE
Se cambiatu infini di faccia. Ma ti ramentu ch’ùn semu micca quì pà buscatti i fidanzati. Pensa piuttostu à arripusatti, dumani emu da parta à bon’ ora.
(Tu changes enfin d’humeur. Mais je te rappelle qu’on est pas là pour préparer tes amourettes. Pense plutôt à te reposer, demain on partira tôt. )
37. EXT./JOUR – LES FRERES ET LE COLPORTEUR SE SEPARENT.
Au matin devant les chevaux, le colporteur prend congé de ses compagnons.
LE COLPORTEUR
Ti ringraziu pà l’accolta, o Capità. Spergu chì vo mittareti a mani annant’à i vosci animali.
(Merci de ton accueil, Capitaine. J’espère que vous récupèrerez vos bêtes.)
MARC-ANTOINE
Tù vochi in paci, o Draculì. È ùn fà micca manedda in u prossimu paesu.
(Va en paix, Colporteur. Et ne lutine pas trop dans le prochain village.)
LE COLPORTEUR
Si farà ciò chì si devi. È tù, o Capità, credi d’avè presu a dicisioni bona ?
(On fera toujours ce qui est nécessaire. Et toi, Capitaine, tu crois que tu as pris la bonne décision ?)
MARC-ANTOINE
Facciu anch’eu ciò ch’e’ devu.
(Je fais aussi ce qui est nécessaire.)
LE COLPORTEUR
Allora s’idda hè cussì, feti attinzioni à vo, tutt’è trè. Mi stunaria chì quissi chì v’aspettani siani anghjuli.
(Alors si c’est ainsi, faîtes attention à vous, tous les trois. Ceux qui vous attendent ne sont sûrement pas des tendres.)
MARC-ANTOINE
A so. È a so ciò ch’iddi ani fattu.
(Je sais. Et je sais ce qu’ils ont fait.)
LE COLPORTEUR
Forsa ci rividaremu. Un ghjornu.
(On se reverra peut-être. Un jour.)
MARC-ANTOINE
Bona strada. (un peu moqueur) Chì a to fedi ti pruteghja.
(Bonne route. (un peu moqueur) Que ta foi te protège.)
Le colporteur enfourche sa monture et s’éloigne en entonnant son chant habituel.
38. EXT./JOUR – LA RANDONNEE.
Longue progression des frères dans la nature, les paysages changent brusquement, tout devient rouge, le sol, l'eau, la boue, des arbres coupés, des châtaigniers jonchent le sol. Dans ce paysage, tout est rouge à cause de l’extraction du tanin.
HORACE
Chì locu… Com’hè ch’iddu sighi russu in tuttu ?
(Quel paysage… Pourquoi tout est rouge partout ?)
BAPTISTE
Hè par via di u sfruttamentu di a tinta, servi à impidiscia ch’iddu mirzessi u coghju di l’animali.
(C’est à cause de l’exploitation du tanin, ça sert à empêcher les peaux de bêtes de pourrir.)
MARC-ANTOINE
Ani missu una fabbrica quà da subra. Ùn faci tantu bè à u locu.
(Ils ont placé une usine en amont. Ça fait pas du bien au pays.)
39. EXT./JOUR – LE HAMEAU DES ROUQUINS.
Dans ce paysage rouge, les frères arrivent dans un hameau dont les volets se ferment. Ils se sentent épiés, des gamins roux les surveillent et se laissent apercevoir. Ils se cachent et ressurgissent plus loin.
Une femme minée, rousse elle aussi, au teint blafard, apparait à la fenêtre d’une maison basse, s’appuyant sur le rebord. Elle les regarde comme éteinte, le regard morne.
BAPTISTE
Signora, l’eti visti passà certi omini cù u bistiamu ?
(Femme, est-ce que tu as vu passer des hommes avec du bétail ?)
LA FEMME (comme hallucinée, et parlant sur un rythme plutôt déréglé, mais pas frénétique)
Bistiamu ùn ci n’hè quì… I soli omini ad essa vinuti, affaccaiani da u nordu, impresarii, cù i solda è i fabbrichi… Sdrughjini i fusti in i butti buddenti, è lampani u pingu in a vadina… Ùn ci hè più pesci à gallu, è mancu l’anguiddi, è i surghjenti sanguinighjani com’è sì a chimia inciucciaraia a tarra… Arburi ùn ci n’hè più, è quissi chì i pussidiani sò duvintati uvrieri… li cascani i capiddi prima di a vichjara, è l’acitu li runzichighja i pulmona sin’à falli mora.
(Il n’y a pas de bétail ici... Les seuls hommes qui sont venus, ils arrivaient du nord, les entrepreneurs, avec leur argent et leurs usines… Ils fondent les troncs dans les cuves qui bouillonnent, et ils rejettent le jus dans la rivière… Il n’y a plus ni poissons ni anguilles qui flottent, et les sources saignent comme si la chimie imbibait le sol… Il n’y a plus d’arbres, et ceux qui les possédaient sont devenus des ouvriers… leurs cheveux tombent avant qu’ils ne vieillissent, l’acide leur ronge les poumons jusqu’à ce qu’ils meurent.)
MARC-ANTOINE
Circhemu i furadori di bistiamu. Ani pussutu varcà par ind’è vo.
(On cherche des voleurs de bétail. Ils ont pu traverser par chez vous.)
LA FEMME
Passeti a voscia strada. U nosciu paesu si n’hè mortu… è ùn firmemu chè no, chì Diu hà sminticatu quì, cù i nosci suffrenzi… paghemu tutti i ghjorna par ciò chì no emu fattu à i muntagni.
(Passez votre chemin. Notre pays est mort… et il ne reste que nous, que Dieu a oubliés ici, avec nos souffrances… tous les jours nous payons pour le mal que nous avons fait aux montagnes.)
Les gamins qui avaient ressurgi sont plus oppressants, entourant de loin les intrus à cheval.
Horace, agacé, les interpelle.
HORACE
Ma chì sò ‘ssi mattaghjati ? O spezii di malasciamè, lachetici passà !
(C’est quoi ces dingues ? Bande de tarés, laissez-nous passer !)
Ils lui lancent des pierres, Horace sort son arme et s'énerve. Ses frères le calment.
MARC-ANTOINE
Acconcia subbitu ‘ssu catanu, è viaghja.
(Range ton arme tout de suite et avance.)
BAPTISTE
Calmati ghjà, ùn la vidi ch’iddi sò disgraziati, ‘ssi bardona ?
(Calme-toi, tu vois pas que c’est des pauvres gosses.)
HORACE
Chì paesu di scemi !
(Quel endroit de fous !)
40. EXT./ JOUR – LE COLPORTEUR APPROVISIONNE UN FUGITIF.
On retrouve le Colporteur en train de chevaucher dans une forêt. Tout en avançant, il chantonne, puis s’incline pour parler à l’oreille de son cheval.
LE COLPORTEUR
Si facini ghjustizia da par iddi… Un affari di cori… a famidda i ricusa pà i so origini misareddi… i cosi s’imbruttini, è u sangu miscia… Ah ! Salumonu… ancu assà ch’iddi esistini i draculini… Quali, sì di nò, purghjaria i furnituri à ‘ssi curci mattarazzani… Ma semu quì, ghje’ è tè, è i nosci passi sò quiddi di a pruvidenza, ancu pà l’essari sbanditi…
(Ils se font justice tous seuls… Une affaire de cœur… la famille les rejette pour leurs origines misérables… les choses s’enveniment, et le sang coule… Ah ! Salomon… encore heureux que les colporteurs existent… Qui, sinon, approvisionnerait ces malheureux gredins ? Mais nous sommes là, toi et moi, et nos pas sont ceux de la providence, même pour les parias…)
Surgit des buissons un hors-la-loi hirsute et quelque peu halluciné. Les deux hommes se saluent d’un geste. Le colporteur fouille à l’arrière de sa monture et décroche une musette qu’il jette au brigand. Celui-ci s’en empare frénétiquement et disparait immédiatement d’où il était venu. Le colporteur se remet alors en route.
LE COLPORTEUR
A vidi o Salumò. Ci vol’ di porghja succorsu à u so paghjesu. Ancu l’ultimi di l’ultimi, ancu l’andacciani i più vargugnati miretani a noscia cumpassioni.
(Tu vois Salomon. Il faut porter secours à son prochain. Même les derniers des derniers, même les gueux que l’on méprise le plus méritent notre compassion.)
Synopsis Trois Cavaliers (idée générale) :
Trois frères aux relations distendues, dont on a volé le bétail et tué le plus jeune membre de la famille, se mettent en ordre de marche pour récupérer leur bien et venger leur frère assassiné. Ils suivent le chemin des voleurs et font des rencontres édifiantes avant de les retrouver. Leur chemin croise celui d’un colporteur malicieux, qui va les aider dans leur quête, d’une veuve dont l’aîné tombe amoureux, et d’un marchand de bêtes cruel et implacable auquel ils doivent se confronter. Cette lutte tragique, si elle révèle et affirme les caractères des protagonistes, débouchera sur l’émigration définitive des survivants.
34. EXT./JOUR – MARC-ANTOINE ET LE MOUFLON.
Marc-Antoine part à pied dans la forêt et les rocailles (il possède une réelle élégance dans cet élément qui est le sien, et qu’il retrouve), il découvre les traces d’un mouflon, les suit, on mesure en lui l’excitation du chasseur. Il prend sa longue vue, scrute la falaise, aperçoit le mouflon, s’approche en silence. Il agite un mouchoir blanc qui intrigue l'animal. Marc-Antoine l’a dans sa ligne de mire, il a épaulé son fusil…. il ne tire pas, abaisse son arme, le mouflon part après quelques secondes.
35. EXT./NUIT – AU BIVOUAC.
A la nuit tombée, il rejoint le campement, où ses frères l’attendent autour du feu, face à l’abri. Horace est appuyé contre un rocher, un peu avachi, et déjà à moitié enveloppé dans sa couverture. Baptiste attise le feu, il est accroupi un tison à la main. Marc-Antoine s’en approche et accroche ses affaires à une branche. Il sent qu’on lui fait un peu la gueule, notamment le plus jeune frère.
HORACE (sarcastique)
Ùn ha’ tumbu nudda ? Ghje’ ti cridia u cacciadori di a famidda…
(Tu n’as rien tué, je croyais que tu étais le chasseur de la famille…)
MARC-ANTOINE
Innò, ùn aghju tumbu nudda. Circa d’ùn avè micca sempri calcosa à cuntà. È postu chì tù parli di a famidda, inveniti chì u maiori socu eu.
(Non j’ai rien tué. Evite d’avoir toujours quelque chose à dire. Et puisque tu parles de la famille, oublie pas que l’aîné c’est moi.)
HORACE
Dicu solu ch’e’ n’aghju una tichja di sciaccammi u fasgiolu. Sì no duvemu mova, ch’o mancu no manghjimu comu ci voli.
(Je dis juste que j’en ai un peu marre de bouffer ces haricots. Si on doit être en expédition, qu’au moins je mange à ma faim.)
Marc-Antoine le regarde un peu dépité, en se retenant de l’envoyer paître, tandis que Baptiste, le regard en biais, s’affère près du feu et paraît saisir l’agacement de Marc-Antoine.
HORACE (toujours pénible)
Ostia, semu affidati. Durmimu in tarra com’è paciaghji, ci cutremu è in più patimu a fami.
(Putain, on est bien lotis. On dort par terre comme des moins que rien, on se gèle et en plus on doit crever la dalle.)
MARC-ANTOINE
Ha’ dicisu d’essa pinibuli. A prossima volta piddarè tù u fucili, è andarè à caccighjà. Tandu vidaremu.
(Tu as décidé d’être pénible. Alors la prochaine fois tu prends ton fusil et c’est toi qui vas chasser. On verra bien.)
BAPTISTE
Chiteti, approntu calcosa. (en s’adressant à Horace…) Ùn hà mancu u tortu. Di fatti ci fatichi. Veni è manghja, è prova à stà bassu un pocu.
(C’est bon, je prépare quelque chose. (en s’adressant à Horace…) Il a pas tort. En fait tu nous fatigues. Viens manger et essaie de la mettre en veilleuse.)
HORACE (en entendant un bruit assez vague)
Mì chì quì ci hè calchì ad unu chì s’avvicina !
(Eh ! Y a quelqu’un qui approche, là !)
Alors qu’on entend effectivement des pas de chevaux, ils prennent leurs armes et se mettent sur le qui-vive. Un homme approche, il est sur un cheval suivi cette fois d’un âne un peu grotesque. L’homme, que l’on distingue avec difficulté dans l’obscurité, demande l’hospitalité. C'est le colporteur.
LE COLPORTEUR (surgissant de l’obscurité)
È Diu dissi : « Ci sarani i luminarii in u firmamenti di u celi… è ‘ddi siini cenni ». Amici, aghju vistu u vosciu focu, è ci aghju vistu un cennu.
(Et Dieu dit : « Qu’il y ait des luminaires dans le firmament du ciel… et qu’ils soient des signes ». Amis, j’ai vu votre feu, et j’y ai vu un signe.)
Il apparait à la lumière du feu, et les frères découvrent qui il est. Marc-Antoine le reconnaît.
LE COLPORTEUR
Accittareti ch’un perigrinu sbandatu prufitessi una stunda di u calori di stu focu ?
(Accepterez-vous qu’un pèlerin égaré profite un instant de la chaleur de votre feu ?)
MARC-ANTOINE
Cridiu tù avissi capitu ch’eru duru à cunvirtiscia, Draculinu. Ma ben sicura chì tù po’ sparta ‘ssu focu cù i malcridenti chì no semu.
(Je croyais que tu avais compris que j’étais dur à convertir, Colporteur. Mais tu peux bien sûr partager ce feu avec les mécréants que nous sommes.)
LE COLPORTEUR
Se tù o Capità…
(C'est toi capitaine…)
MARC-ANTOINE (amusé)
Vicu chì tù ha’ barattatu a to mula pà unu staddonu magnificu… (un plan sur l’âne grotesque qui accompagne le Colporteur) Ci avarè vintu à u scambiu, spergu.
(Je vois que tu as fourgué ta mule pour ce magnifique étalon… (un plan sur l’âne grotesque qui accompagne le Colporteur) Tu y as gagné au change, j’espère.)
LE COLPORTEUR
I circustanzi è u distinu. T’aghju dighjà parlatu di ‘ssi cosi quì. Po’ a vita di u vindarolu cheri uni pochi di cumprumissi ch’ùn ci l’aspittemu micca.
(Les vicissitudes du destin. J’ai déjà dû te dire quelque chose par rapport à ça. Et puis la vie de marchand ambulant comporte quelques compromis inattendus.)
HORACE (se tournant vers Marc-Antoine qui ne lui répond pas)
Cunnosci ‘ssu ghjirandulonu ?
(Tu connais ce vagabond ?)
LE COLPORTEUR
‘Ssa mulaccia t’hà puri calchì qualità. È prima quidda di pudè middurà parpena l’urdinariu, u vosciu mi pari misaru. Aghju vistu i campamenta dund’ì a carri era scarsa, u vosciu mi rendi tristu in particulari.
(Ce bourricot a malgré tout quelques qualités. Et en premier celle de pouvoir charrier de quoi améliorer votre ordinaire, qui m’a l’air un peu triste. J’ai vu des campements où la chair était maigre, le vôtre me fait particulièrement pitié.)
MARC-ANTOINE (encore amusé)
Sì tù parli cussì, ti pudemu ancu accodda tutta a nuttata. Chì hè chì tù ci pruponi ? (et narquois) O Rà, chì ni dici…
(Si tu parles comme ça, il se peut qu’on t’autorise même à passer la nuit ici. Tu as quoi à offrir ? (et narquois) Hein ? Horace…)
36. EXT./NUIT – LES HOMMES AUTOUR DU FEU.
MARC-ANTOINE
Veni puri è riscaldati, o Draculì. Mi faci piaceri di vedati.
(Viens donc te réchauffer, Colporteur. Ça me fait plaisir de te voir.)
Le colporteur s’approche du feu en se frottant les mains.
LE COLPORTEUR
T’aghju u pan’ di granu… a misgiscia… È subratuttu un vinu di quiddi !
(J’ai du vrai pain… de la viande séchée…. Et surtout un vin sauvé des batailles !)
L'ambiance est amicale, le colporteur apporte de l'animation et de la joie de vivre. Il n’y a guère qu’Horace qui continue à être un peu renfrogné.
MARC-ANTOINE
Sò i me fratedda, Battistu è Araziu… Dopu, mi ferma un pocu di tabaccu. A so chì tù l’ha’ appriziatu.
(Voici mes frères Baptiste et Horace… Pour plus tard, il me reste un peu de tabac. Je sais que tu l’as apprécié.)
LE COLPORTEUR
Dicu ancu di sì à quiddu tabaccu. Chì ci feti par quì, vo trè ?
(Je dirais pas non à ton fameux tabac. Qu’est-ce que vous faites par ici, tous les trois ?)
MARC-ANTOINE
Ci ani arrubbatu i vacchi. Sicuramenti i furadori missi p’è u nordu. I ricirchemu.
(On nous a volé nos vaches. Sûrement des types partis vers le nord. On est à leur recherche.)
Le colporteur déballe joyeusement sa marchandise.
LE COLPORTEUR
Una spidizioni ! T’aghju tuttu ciò chì vi abbisogna, cuperti, manteddi pà l’acqua, munizioni…
(Une expédition ! J’ai tout ce qu’il vous faut, couvertures, capes de pluie, munitions…)
Ils discutent tout en se mettant à manger, des victuailles passent de main en main.
BAPTISTE
Passi a to vita p’è i stradi, ùn hè cussì ?
(Tu passes ta vie sur les routes, pas vrai ?)
LE COLPORTEUR
Sceltu ùn aghju micca, ma hè a me vita cussì, à pocu pressu. Diu hà vulsutu chì a me famidda ùn pussidissi micca tarrena. I me frateddi, iddi, erani ghjurnataghji, ùn li hè tantu riisciutu, mi pari. Allora eu aghju presu i violi. Ùn la vulia a so vita. Ùn aghju l’anima à fà u servu. Ci voli à creda chì certi sò nati pà zimbà a schienna, è d’altri pà essa libari.
(J’ai pas choisi, mais c’est à peu près ma vie, oui. Dieu a voulu que ma famille ne possède aucune terre. Mes frères, eux, ils vendaient leur force de travail à la journée, j’ai pas trouvé que ça leur réussissait. Alors moi j’ai pris les chemins. Je voulais pas de leur vie. J’ai pas l’âme de la servitude. Il faut croire que certains sont nés pour courber l’échine, et d’autres pour être libres.)
BAPTISTE (un peu provocateur)
Sarè unu spezia di banditu, tandu. Metti i to passa in quissi di Tiadoru Poli… A sa’ com’iddi finiscini ‘ss’aienti quì.
(Tu es une sorte de rebelle, alors. Tu mets tes pas dans ceux de Théodore Poli… Tu sais comment ils finissent ces gens-là.)
LE COLPORTEUR
Tiadoru Poli era à quiddi tempi. Ùn credu micca chì da tandu ‘ssu paesu avissi cunnisciutu i banditi ch’erani banditi da veru. Hè solu a me vita. Ùn hè Diu à avè dittu chì i So fiddoli sariani libari, è ch’iddi pudariani manghjà tutti i frutti di l’ortu ?
(Théodore Poli c’était il y a longtemps. Je crois pas que depuis, ce pays ait connu des gens qui étaient des vrais rebelles. C’est juste ma vie. Dieu n’a-t-il pas dit que Ses fils devaient être libres, et qu’ils pourraient manger de tous les arbres du jardin ?)
MARC-ANTOINE
Hà dittu dinò Diu chì tù ùn manghjaristi micca u fruttu di a cunniscenza. A sa’ bè chì à ‘ssu paesu ùn l’agradiscini i spiriti libari.
(Dieu a dit aussi que tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance. Tu sais que ce pays n’aime pas les esprits libres.)
LE COLPORTEUR
Forsa sì… Ma cunnoscu i distina peghju chè u meiu. Vocu è vengu, una donna quà è ddà, in ugni paesu. È appressu à tuttu, ùn hè mai chè quissa.
(Peut-être… Peut-être… Mais je connais des destins pires que le mien. Je vais, je viens, une femme par ci par là, dans les villages. Et après tout, ça n’est que ça.)
HORACE (cette fois intéressé)
In ugni paesu ?
(Dans tous les villages ?)
MARC-ANTOINE
Se cambiatu infini di faccia. Ma ti ramentu ch’ùn semu micca quì pà buscatti i fidanzati. Pensa piuttostu à arripusatti, dumani emu da parta à bon’ ora.
(Tu changes enfin d’humeur. Mais je te rappelle qu’on est pas là pour préparer tes amourettes. Pense plutôt à te reposer, demain on partira tôt. )
37. EXT./JOUR – LES FRERES ET LE COLPORTEUR SE SEPARENT.
Au matin devant les chevaux, le colporteur prend congé de ses compagnons.
LE COLPORTEUR
Ti ringraziu pà l’accolta, o Capità. Spergu chì vo mittareti a mani annant’à i vosci animali.
(Merci de ton accueil, Capitaine. J’espère que vous récupèrerez vos bêtes.)
MARC-ANTOINE
Tù vochi in paci, o Draculì. È ùn fà micca manedda in u prossimu paesu.
(Va en paix, Colporteur. Et ne lutine pas trop dans le prochain village.)
LE COLPORTEUR
Si farà ciò chì si devi. È tù, o Capità, credi d’avè presu a dicisioni bona ?
(On fera toujours ce qui est nécessaire. Et toi, Capitaine, tu crois que tu as pris la bonne décision ?)
MARC-ANTOINE
Facciu anch’eu ciò ch’e’ devu.
(Je fais aussi ce qui est nécessaire.)
LE COLPORTEUR
Allora s’idda hè cussì, feti attinzioni à vo, tutt’è trè. Mi stunaria chì quissi chì v’aspettani siani anghjuli.
(Alors si c’est ainsi, faîtes attention à vous, tous les trois. Ceux qui vous attendent ne sont sûrement pas des tendres.)
MARC-ANTOINE
A so. È a so ciò ch’iddi ani fattu.
(Je sais. Et je sais ce qu’ils ont fait.)
LE COLPORTEUR
Forsa ci rividaremu. Un ghjornu.
(On se reverra peut-être. Un jour.)
MARC-ANTOINE
Bona strada. (un peu moqueur) Chì a to fedi ti pruteghja.
(Bonne route. (un peu moqueur) Que ta foi te protège.)
Le colporteur enfourche sa monture et s’éloigne en entonnant son chant habituel.
38. EXT./JOUR – LA RANDONNEE.
Longue progression des frères dans la nature, les paysages changent brusquement, tout devient rouge, le sol, l'eau, la boue, des arbres coupés, des châtaigniers jonchent le sol. Dans ce paysage, tout est rouge à cause de l’extraction du tanin.
HORACE
Chì locu… Com’hè ch’iddu sighi russu in tuttu ?
(Quel paysage… Pourquoi tout est rouge partout ?)
BAPTISTE
Hè par via di u sfruttamentu di a tinta, servi à impidiscia ch’iddu mirzessi u coghju di l’animali.
(C’est à cause de l’exploitation du tanin, ça sert à empêcher les peaux de bêtes de pourrir.)
MARC-ANTOINE
Ani missu una fabbrica quà da subra. Ùn faci tantu bè à u locu.
(Ils ont placé une usine en amont. Ça fait pas du bien au pays.)
39. EXT./JOUR – LE HAMEAU DES ROUQUINS.
Dans ce paysage rouge, les frères arrivent dans un hameau dont les volets se ferment. Ils se sentent épiés, des gamins roux les surveillent et se laissent apercevoir. Ils se cachent et ressurgissent plus loin.
Une femme minée, rousse elle aussi, au teint blafard, apparait à la fenêtre d’une maison basse, s’appuyant sur le rebord. Elle les regarde comme éteinte, le regard morne.
BAPTISTE
Signora, l’eti visti passà certi omini cù u bistiamu ?
(Femme, est-ce que tu as vu passer des hommes avec du bétail ?)
LA FEMME (comme hallucinée, et parlant sur un rythme plutôt déréglé, mais pas frénétique)
Bistiamu ùn ci n’hè quì… I soli omini ad essa vinuti, affaccaiani da u nordu, impresarii, cù i solda è i fabbrichi… Sdrughjini i fusti in i butti buddenti, è lampani u pingu in a vadina… Ùn ci hè più pesci à gallu, è mancu l’anguiddi, è i surghjenti sanguinighjani com’è sì a chimia inciucciaraia a tarra… Arburi ùn ci n’hè più, è quissi chì i pussidiani sò duvintati uvrieri… li cascani i capiddi prima di a vichjara, è l’acitu li runzichighja i pulmona sin’à falli mora.
(Il n’y a pas de bétail ici... Les seuls hommes qui sont venus, ils arrivaient du nord, les entrepreneurs, avec leur argent et leurs usines… Ils fondent les troncs dans les cuves qui bouillonnent, et ils rejettent le jus dans la rivière… Il n’y a plus ni poissons ni anguilles qui flottent, et les sources saignent comme si la chimie imbibait le sol… Il n’y a plus d’arbres, et ceux qui les possédaient sont devenus des ouvriers… leurs cheveux tombent avant qu’ils ne vieillissent, l’acide leur ronge les poumons jusqu’à ce qu’ils meurent.)
MARC-ANTOINE
Circhemu i furadori di bistiamu. Ani pussutu varcà par ind’è vo.
(On cherche des voleurs de bétail. Ils ont pu traverser par chez vous.)
LA FEMME
Passeti a voscia strada. U nosciu paesu si n’hè mortu… è ùn firmemu chè no, chì Diu hà sminticatu quì, cù i nosci suffrenzi… paghemu tutti i ghjorna par ciò chì no emu fattu à i muntagni.
(Passez votre chemin. Notre pays est mort… et il ne reste que nous, que Dieu a oubliés ici, avec nos souffrances… tous les jours nous payons pour le mal que nous avons fait aux montagnes.)
Les gamins qui avaient ressurgi sont plus oppressants, entourant de loin les intrus à cheval.
Horace, agacé, les interpelle.
HORACE
Ma chì sò ‘ssi mattaghjati ? O spezii di malasciamè, lachetici passà !
(C’est quoi ces dingues ? Bande de tarés, laissez-nous passer !)
Ils lui lancent des pierres, Horace sort son arme et s'énerve. Ses frères le calment.
MARC-ANTOINE
Acconcia subbitu ‘ssu catanu, è viaghja.
(Range ton arme tout de suite et avance.)
BAPTISTE
Calmati ghjà, ùn la vidi ch’iddi sò disgraziati, ‘ssi bardona ?
(Calme-toi, tu vois pas que c’est des pauvres gosses.)
HORACE
Chì paesu di scemi !
(Quel endroit de fous !)
40. EXT./ JOUR – LE COLPORTEUR APPROVISIONNE UN FUGITIF.
On retrouve le Colporteur en train de chevaucher dans une forêt. Tout en avançant, il chantonne, puis s’incline pour parler à l’oreille de son cheval.
LE COLPORTEUR
Si facini ghjustizia da par iddi… Un affari di cori… a famidda i ricusa pà i so origini misareddi… i cosi s’imbruttini, è u sangu miscia… Ah ! Salumonu… ancu assà ch’iddi esistini i draculini… Quali, sì di nò, purghjaria i furnituri à ‘ssi curci mattarazzani… Ma semu quì, ghje’ è tè, è i nosci passi sò quiddi di a pruvidenza, ancu pà l’essari sbanditi…
(Ils se font justice tous seuls… Une affaire de cœur… la famille les rejette pour leurs origines misérables… les choses s’enveniment, et le sang coule… Ah ! Salomon… encore heureux que les colporteurs existent… Qui, sinon, approvisionnerait ces malheureux gredins ? Mais nous sommes là, toi et moi, et nos pas sont ceux de la providence, même pour les parias…)
Surgit des buissons un hors-la-loi hirsute et quelque peu halluciné. Les deux hommes se saluent d’un geste. Le colporteur fouille à l’arrière de sa monture et décroche une musette qu’il jette au brigand. Celui-ci s’en empare frénétiquement et disparait immédiatement d’où il était venu. Le colporteur se remet alors en route.
LE COLPORTEUR
A vidi o Salumò. Ci vol’ di porghja succorsu à u so paghjesu. Ancu l’ultimi di l’ultimi, ancu l’andacciani i più vargugnati miretani a noscia cumpassioni.
(Tu vois Salomon. Il faut porter secours à son prochain. Même les derniers des derniers, même les gueux que l’on méprise le plus méritent notre compassion.)
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