Paris sera toujours Paris ? Paris est aussi une plaie, la maladie qui emporte chaque nuit des êtres humains détruits.
Paris, leur tombe à ciel ouvert, leur caveau dégueulasse qui pue l’urine et la diarrhée acide.
Ils sont des formes agglutinées dans les coins, les angles, derrière les buissons des squares,
mi-peau mi-textile, extrémités modifiées, la corne humaine s’est mélangée au feutre, au cuir de leurs hardes,
mi-peau mi-textile, la crasse puis les parasites comme une résine incluent l’un dans l’autre.
Ils ont une langue énorme, bouffée par les aphtes, les abcès, qui glisse sur des gencives édentées, meurtries, sort et les surprend eux-mêmes de ne plus produire de parole mais des râles, soit que leur langue maternelle ne se parle pas ici, soit que leur langue maternelle ne leur serve plus du tout.
Il y a deux ou trois hivers ils ont reçu des tentes dômes, entrées dans leur mutation physique, leur pelage d’hiver fait de laine, de cuir, de leur peau, de sébum, des particules fines, des eaux ruisselantes de leurs propres corps et celles de la ville de Paris, des étales des marchés, s’est couvert d’un film vert tendu par des arceaux souples, une carapace dérisoire.
Ils n’en bougent plus parfois, sortant la tête ou la rentrant dans une alternance de veille ou sommeil,
Des escargots mous, urbains,
humains.
Des tortues démembrées.
Accrochées aux trottoirs, aux grillages, comme les nids des hirondelles, collés par des sécrétions. Que peuvent-ils chier, ils mangent à peine? Que pissent-ils ? Leur propre matière, leur corps mourant. Leur identité s’excrême.
Ils crèvent sous nos yeux, ils crèvent en profondeur,
avant de perdre la vie, ils perdent l’humanité.
Ils sortent de notre « contemporalité », du siècle, du millénaire, deviennent anachroniques puis étrangers à l’espèce, dégringolent, du moyen âge à la préhistoire, de l’homo-sapiens à une animalité sans mémoire ni savoir-faire acquis, pour suffoquer sous nos yeux, agoniser en puant, ne réclamant rien, ne hurlant pas, ne nous en voulant pas, morts déjà putréfiés
Comment vouloir que Paris soit toujours Paris ? Paris est aussi devenu la fosse commune des miséreux de mille pays, dont le nôtre, qui s’y décomposent de leur vivant encore.
J’ai honte de moi, de nous, de notre impuissance et concupiscence.
Dernière édition par Sylvie Viallefond le Mar 5 Jan - 15:35, édité 1 fois