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    De qui tu seras ? par Sylvie Viallefond

    Dominique Giudicelli
    Dominique Giudicelli
    Admin

    Messages : 397
    Date d'inscription : 28/02/2014
    18092014

    De qui tu seras ? par Sylvie Viallefond Empty De qui tu seras ? par Sylvie Viallefond

    Message par Dominique Giudicelli

    "De qui tu seras ?" ou la question des origines, nichée au ventre des pierres. Par Sylvie Viallefond




    De qui tu seras ? par Sylvie Viallefond De_pro11

    « De qui tu seras» ?
    La question est posée par des vieilles dames en groupe.
    « De qui tu seras ? », c'est à quelle source boit ta famille, à l’eau de quelle fontaine ?
    Où prenez-vous votre ombre ?
    De quelle hauteur au village embrassez-vous la vallée ? Me voyez-vous chez moi ?
    De quelles alliances es-tu le fruit ?
    Qui t'a ouvert ses secrets de famille ? Qui te couchera sur son menu testament ?  
    Qui est le père et au ventre de quelle femme a-t-il confié ses hémi-enfants à compléter ?
    Qui a espéré en toi, et qui tu as déçu ?
    Qui t'autorise à être?
    Qui te donne droit de cité ?

    Puis on demande s'il va bien.
    « Et ce « Pauvre » Chose ( mort) ? Qui a été « très fatigué » (gravement malade) ? A quel âge dis-moi ? Comment c'est arrivé déjà, on n'a pas su exactement? »

    Des petites filles très curieuses.

    Ils sont tous partis tôt, dans une double fuite, l'exil et la mort précoce. Les siens partis vite, les a-t-on bien retenus contre la fatigue de vivre, l'exposition au mal ?
    Quand les racines sont au cimetière, elles peuvent avoir peuplé la vallée toute entière, en retenir la terre et l’ensemencer, on ne tient qu'à un fil. Elle ne peut demander aux autres d'avoir plus de mémoire qu'elle.
    Un quart de sang Corse dans ses veines. Quel quart ?

    C'est son ventre.
    Le quart de son corps qui est son centre.

    Il vient des femmes qui la précèdent. Leurs ventres s’emboîtent et se renouvellent, comme des poupées russes, mais corses, irradiés par le granit du Taravu. Pour enfanter, faire l'amour, courir, porter, une grand-mère lui a laissé une guitare toujours bien accordée, une mandoline qui donne un son vif et fruité.
    C'est dans le corps de ces femmes qu'elle se retrouve, agiles et musclés, si bien parlant et répondant aux sens. Ces corps aux muscles ronds et longs, aux poitrines menues mais aux bassins portant beaux les enfants. Ces corps faits pour la vieillesse.
    Elles sont maîtresses à tous les sens, de tous leurs sens et mères aussi. Des femmes mères et amantes, sans névrose triste. Des femmes qui devenues vieilles gouvernent tout un village, autant qu'on les a négligées parfois, ou qu'elles étaient déjà tyran au foyer et que la mort de l'autre les aura fait sortir.
    D'autres sont obscènes, comme partout, parce qu'elles sont plus fragiles. Leur sensualité est comme un flacon de parfum qui ne sent plus d'être resté ouvert.

    La Corse en elle est un corps pierre. Un corps terre.
    Un corps fier.
    Qui sent profondément le changement des saisons, un sens aigu du temps.
    Des mains aux gestes rapides et justes, une manière d'occuper peu d'espace et d'embrasser le monde et ses confins.
    Un corps qui sent la naissance et la mort.
    Un corps endurant, un peu déraisonnable. Conçu pour l'hiver et la montagne, le soleil et le danger d'une île. Résistant, doué de force, autant qu’un homme, et tous les sens violents. Un corps utilement fait, efficace, exactement fait pour le plaisir et l’effort.

    Une femme muscles et mains, qui règne sur l'amant, le nouveau-né et le nouveau mort.

    Cette féminité est un nœud qui retient l'embryon dans sa poche de sang, l'amant dans son étreinte pour qu'il demeure, l'enfant petit qui a besoin, le fils adulte qui se perd et revient, le mort surpris dans sa profonde déliaison, et la possibilité de fuir, toujours.
    Un corps qui se prête sans se donner, qui s'oppose ou qui, comme un col montagneux ouvre le chemin d'une vallée à l'autre où glisser.

    Un corps Ile.

    Les petites dames âgées qui veulent tout savoir de la généalogie des passants et des figures de la mort, sont bien de la même veine. Leur féminité est plus marquée par la fascination de la mort là où le corps a renoncé, un peu, au plaisir de l'amour sexué. Le mélange a changé de proportions, mais si par chance elle la font asseoir près d'elles, lui accrochant le bras de leurs mains noueuses, elles en viendront à lui demander quel homme l'accompagne dans la vie ?
    S'il est à portée de regard, malheur, tout est dit en un instant : elle appartient au clan des femmes puissantes qui, discrètes, ont tout compris depuis l'âge de fer en Méditerranée, ou au peuple des filles insignifiantes qui se laisseront défigurer par la vie, marcheront petit à petit comme des hommes, les épaules tombantes, et qu'on regardera vieilles de dos en se disant « qu'est-ce qu'elle ressemble à son mari ».
    L'exil de sa grand-mère a ouvert le monde sur d'autres hommes à goûter, d'autres lieux où aimer, d'autres alcôves où accoucher, mais elle demeure sous le regard profondément ironique de cette femme initiatique.

    Certaines vieilles dames en Corse aiment les gens beaux. Cela demeure important. Elles regardent les hommes, les femmes qui passent, et la beauté est un critère marquant, comme la richesse pour d'autres. Est-ce le fait d'une île ? La peur de l'atavisme qui évolue comme un incendie sous le vent ? La peur des tares ? La beauté est nouvelle, l'expression de gènes inconnus ; elle est santé, force, plaisir. Elle est convoitise, elle est le luxe et l'injuste. Aimer plus beau que soi et tenir serré cet amour ; être une femme puissante.

    Certaines vieilles dames en Corse demeurent des petites filles curieuses, du sexe et de la mort. Après elles le déluge.
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    Dominique Giudicelli

    Message Jeu 18 Sep - 23:12 par Dominique Giudicelli

    Karlheinz : J'aime bien ce rythme, ce laconisme, et... toute cette féminité qui dégouline !

    Sylvie : 'faut peut-être que je tamponne un peu alors? Merci Karlheinz.

    Hubert : On voit des doigts gourds, un rayon s'immiscer sous un foulard dans un œil encore vif par fierté, délavé d'avoir trop vu, surtout les évidences élevées en totems, ça sent la confiture, la sauce tomate maison, le gâteau sec un peu rance dans sa belle boîte démodée (c'est pour ça qu'elle est belle), la merde de chien n'est rien au regard du saule pleureur qui lui fait de l'ombre. C'est rythmé, ciselé, voilà...

    Sylvie : merci Hubert, vous me faites plaisir. Pour les gâteaux rances, nous avions sans doute la même grand mère, la mienne mélangeait les curlys et les pépitos dans la même boite.
    Hubert Canonici

    Message Jeu 18 Sep - 23:15 par Hubert Canonici

    Ce texte me plait, j'en ai pour preuve qu'il me donne envie de revoir " Le retour de Don Camillo" où ce dernier est exilé dans un village de montagne perdu. Où quand Pépone vient se plaindre de ses problèmes à Breschello il lui répond:
    - Il n'y a pas de vin ici, il n'y a que l'eau, il n'y a pas de fleuves il n'y a que des torrents...
    Quand le vieux medecin Spiletti engage un maçon pour lui lui faire une fenêtre, ce dernier a un chapeau en papier journal. Quand Don Camillo redescend un soir de tempête chercher l'arme qui les pulvérisera tous, Jésus, après avoir mangé un plat de spaghetti en 3 coups de fourchettes, il se fait amener au croisement et doit porter la croix pour atteindre, de nuit, le village en montagne, sous la neige, et quelle neige, on dirait de la mousse à raser, et dieu merci, c'était en noir et blanc; alors, Sylvie, merci pour ce vent frais, ce souffle de jeunesse...
    Karlheinz L.K.

    Message Mer 8 Oct - 14:45 par Karlheinz L.K.

    Ne tamponnez rien, il n'est pas désagréable de voir une femme suinter sa féminité ! Twisted Evil

    Vous avez ce rare talent de savoir être pudiquement impudique... Mais quelle est donc la part de fiction dans vos écrits ? A vrai dire, je ne souhaite pas de réponse à cette question Cool , je préfère ne pas savoir, tout semble si possible et à la fois... non ! Rolling Eyes

    Bon, vous me faites dire n'importe quoi... Wink
    liveriu

    Message Mer 8 Oct - 20:28 par liveriu

    Ah ! ces femmes du Taravu qui savent si bien goûter la beauté des êtres pour rire de la mort qu’elles savent toujours chanter ! c’est étonnant, tout de même, ces remontées d’éternité à travers une simple politesse de rencontre sur un chemin d’un village déjà mort. Très très beau texte très riche en vérité humaine. On finirait presque par aimer cette vallée…
    Sylvie Viallefond

    Message Mer 8 Oct - 21:27 par Sylvie Viallefond

    Merci beaucoup messieurs pour cette lecture bienveillante et respectueuse. J'ai quelques obsessions c'est évident, qui sont aussi des passions et je me trouve toujours au bord de l'impudeur, parfois même dans l'impudeur, c'est une vraie faiblesse, mais je perçois aussi que c'est juste avant l'impudeur que quelque chose peut se dire d'une expérience commune...que c'est chouette ce Praxis Negra ! Merci
    avatar

    Message Dim 12 Oct - 0:27 par lovichi

    Elles se font de plus en plus rares, ces vieilles femmes en noir. Elles emportent à mesure qu'elles disparaissent leurs questions et leurs rituels magiques. Qui les remplacera ?

    Message  par Contenu sponsorisé


      La date/heure actuelle est Jeu 28 Mar - 9:14