Santa Maria, incursion dans les terres et la mémoire, par Diana Saliceti
photo The Dude
Cette île était trop belle pour y vivre heureux. En effet, elle ne se souvenait pas avoir été heureuse une seule fois de sa vie sur ces 8680 m2 de terre. Pas une seule fois, si ce n'est peut-être le jour où son père l'avait emmenée à la merendella de Piedicroce. Il faisait très chaud ce jour-là et elle avait mangé des glaces en compagnie de nombreux enfants. Elle avait alors eu le sentiment d'appartenir à une tribu, un clan, une meute. Un jour elle a ressenti ça, sur les milliers d'autres qu'elle a vécus en silence.
Marie a le sentiment d’être une de plus au sein d'une multitude. Un électron n'ayant d'atomes crochus avec rien ni personne. C'est pour cela qu'elle roule. Impossible de dire sur quelle route, depuis où et surtout, en quelle direction. Elle avale le macadam comme on boit un coca, sans prendre sa respiration entre deux gorgées. Presque à en éclater. Comme un ballon d’hélium que l'on donne aux enfants à l'entrée des fêtes foraines.
Il est 9h, elle s'arrête à l'entrée de ce village qu'elle n'a jamais vu, ni en carte postale, ni en rêve. Il y a du brouillard comme seule cette île sait en faire. Épais et léger à la fois, qui laisse passer les gens. Marie s'assoit et regarde cette ruelle vide aux pavés descellés. Elle y voit une représentation de son cerveau érodé, de sa vie sans but précis, émoussée par le ressac. Le téléphone n'arrête pas de vibrer dans sa poche ; c'est le chef. A des kilomètres d'ici, son bureau est vide.
Marie vient de passer la nuit à rouler. L'appeler Marie est peut-être présomptueux. S'appelle-t-elle encore ainsi ? Garde-t-on son nom lorsqu’on largue les amarres ?
Marie regarde devant elle, un homme s'avance. Il marche sans la regarder, la dépasse sans la saluer. Il s'arrête quelques mètres plus loin au niveau d'un banc sous lequel un chien dort. « Iè chè tu sì bravu tù. A sai chì dopu t'aghu da purtà l'ossu. Hein o panciulò, chì dici cù u to sguardu, chì dici, o cumpà ? »
Elle a toujours été stupéfaite de voir combien les hommes avaient plus de facilité à parler aux chiens qu’aux autres. Marie ne cherche plus à savoir pourquoi. La fuite s'offre à elle comme au gibier que l'on traque.
Marie aurait aimé avoir une vie à raconter, inspirer des auteurs, des chanteurs de comptoir. Or, elle n'a que l'air que ses doigts brassent alors qu'ils s’entremêlent frénétiquement. Marie aurait envie de vivre ce que cette terre promettait de légendes et d'aventures, d'amour et de destruction.
Mais non.
En ce moment précis, elle est sur cette marche en pierre de taille. Un lavabo désaffecté et abandonné dans la rue la contemple. L'homme du quart d'heure précédent repasse à quelques centimètres d'elle en sifflant. Le chien a disparu.
Le brouillard s'est estompé, il semble avoir emporté les couleurs de ce monde avec lui. Trop d'eau a dû couler sur ces maisons sans âge.
Marie repart. Elle aurait cru pouvoir. En vain. Ses pas hors de l'itinéraire annoncé n'ont pas allégé sa conscience. Rien ne se passe pour lui redonner vie. Le téléphone ressonne encore une fois, puis deux, trois fois. Elle roule de nouveau, ravale le macadam comme une oie que l'on gave. Bientôt, les montagnes se font rares, le sable reprend ses droits. L'angoisse reprend ses doigts qui se baladent sur le cuir du volant. Les lignes du paysage s'estompent et se font plus sages. La plaine. Marie se gare et ferme sa voiture. C'est comme si un peu de brouillard était resté bloqué dans l'habitacle, alors qu'ici le soleil brille, écrase les formes. Elle monte les escaliers en pierre de taille et pleure. Chaque marche accueille une larme. Très vite, elle retrouve ses automatismes. Le code, la lourde porte, le son perçant lorsqu'elle s'ouvre. Comme un chien, Marie retrouve son bureau. Elle s'assoit et entend les pas. Marie aurait voulu, mais ne peut pas.
Marie a le sentiment d’être une de plus au sein d'une multitude. Un électron n'ayant d'atomes crochus avec rien ni personne. C'est pour cela qu'elle roule. Impossible de dire sur quelle route, depuis où et surtout, en quelle direction. Elle avale le macadam comme on boit un coca, sans prendre sa respiration entre deux gorgées. Presque à en éclater. Comme un ballon d’hélium que l'on donne aux enfants à l'entrée des fêtes foraines.
Il est 9h, elle s'arrête à l'entrée de ce village qu'elle n'a jamais vu, ni en carte postale, ni en rêve. Il y a du brouillard comme seule cette île sait en faire. Épais et léger à la fois, qui laisse passer les gens. Marie s'assoit et regarde cette ruelle vide aux pavés descellés. Elle y voit une représentation de son cerveau érodé, de sa vie sans but précis, émoussée par le ressac. Le téléphone n'arrête pas de vibrer dans sa poche ; c'est le chef. A des kilomètres d'ici, son bureau est vide.
Marie vient de passer la nuit à rouler. L'appeler Marie est peut-être présomptueux. S'appelle-t-elle encore ainsi ? Garde-t-on son nom lorsqu’on largue les amarres ?
Marie regarde devant elle, un homme s'avance. Il marche sans la regarder, la dépasse sans la saluer. Il s'arrête quelques mètres plus loin au niveau d'un banc sous lequel un chien dort. « Iè chè tu sì bravu tù. A sai chì dopu t'aghu da purtà l'ossu. Hein o panciulò, chì dici cù u to sguardu, chì dici, o cumpà ? »
Elle a toujours été stupéfaite de voir combien les hommes avaient plus de facilité à parler aux chiens qu’aux autres. Marie ne cherche plus à savoir pourquoi. La fuite s'offre à elle comme au gibier que l'on traque.
Marie aurait aimé avoir une vie à raconter, inspirer des auteurs, des chanteurs de comptoir. Or, elle n'a que l'air que ses doigts brassent alors qu'ils s’entremêlent frénétiquement. Marie aurait envie de vivre ce que cette terre promettait de légendes et d'aventures, d'amour et de destruction.
Mais non.
En ce moment précis, elle est sur cette marche en pierre de taille. Un lavabo désaffecté et abandonné dans la rue la contemple. L'homme du quart d'heure précédent repasse à quelques centimètres d'elle en sifflant. Le chien a disparu.
Le brouillard s'est estompé, il semble avoir emporté les couleurs de ce monde avec lui. Trop d'eau a dû couler sur ces maisons sans âge.
Marie repart. Elle aurait cru pouvoir. En vain. Ses pas hors de l'itinéraire annoncé n'ont pas allégé sa conscience. Rien ne se passe pour lui redonner vie. Le téléphone ressonne encore une fois, puis deux, trois fois. Elle roule de nouveau, ravale le macadam comme une oie que l'on gave. Bientôt, les montagnes se font rares, le sable reprend ses droits. L'angoisse reprend ses doigts qui se baladent sur le cuir du volant. Les lignes du paysage s'estompent et se font plus sages. La plaine. Marie se gare et ferme sa voiture. C'est comme si un peu de brouillard était resté bloqué dans l'habitacle, alors qu'ici le soleil brille, écrase les formes. Elle monte les escaliers en pierre de taille et pleure. Chaque marche accueille une larme. Très vite, elle retrouve ses automatismes. Le code, la lourde porte, le son perçant lorsqu'elle s'ouvre. Comme un chien, Marie retrouve son bureau. Elle s'assoit et entend les pas. Marie aurait voulu, mais ne peut pas.
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