Feu pour feu Carole Zalberg
JYA- Admin
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Date d'inscription : 31/01/2013
Cum’è un longu vuciaratu…
Dans la tradition corse, le vuciaratu est l’apanage des femmes meurtries par la disparition tragique d’un proche. De prime abord, l’analogie n’est pas évidente avec ces oraisons funèbres souvent improvisées au moment même de l’inhumation du défunt. Pourtant, le chant de leur douleur m’est venu en écho au fil de ma lecture de « Feu pour feu ». Car si c’est bien l’histoire d’un drame contée par un homme qui offre son dos à son enfant comme une femme lui offre son ventre, l’interprétation n’en reste pas moins celle de Carole Zalberg.
Avec ce nouveau roman, elle nous livre le mélange d’une apocalypse individuelle entrelacée à une autre, collective, qui frappe sans discernement. Détruisant les corps de ceux qui se réfugient dans la mort aussi bien que les âmes de ceux restés debout tels des funambules. Le père d’Adama est de ceux-là. Il cherche l’équilibre, essaie de marcher droit sur le filin ténu de son rêve. Il tente de la sauver de sa propre terre et en trouver une autre qu’il irriguera de larmes et de sueur pour qu’elle oublie jusqu’à ce qu’elle n’a jamais su. Le sourire de sa mère, les tourments de tout un continent envahi d’injustice et perclus d’inhumanité, l’exil et le déracinement. Là est le cœur de ce livre. Au-delà d’un très beau et tragique récit tissé de mots précis pesant de tout leur sens, il en est deux, ponctuant la fin d’un paragraphe à la page 62 : « Te replanter ». La simple démesure d’un espoir sans avenir car il porte en lui-même le germe d’un inéluctable fiasco. L’arbre, fut-il enfant, a besoin qu’on l’accueille absolument. Si le soleil est pâle ou l’eau pas assez pure, peut-être fleurira-t-il mais jamais aucun fruit n’alourdira ses branches. Quand bien même ses racines trouveraient profondeur et richesse rien ne remplacera la terre qui le vit naitre. Asphyxié par l’incompréhensible nostalgie de ce qui ne sera pour lui pas même un souvenir, il poussera, recelant dans sa sève tout le ressentiment de son monde délaissé. Il s’adaptera, se tordra pour grandir malgré tout. Voilà ce que j’ai entendu dans la voix italique d’Adama l’arbrisseau. Les mots de ces enfants orphelins d’identité qui s’en inventent une, déformée, imparfaite, dangereuse pour eux et pour les autres. Ils créent leurs propres règles, les érigent en remparts d’une forteresse qui se soustrait à tout ce qui n’est pas eux, car là est leur survie et gare à qui la menace.
« Feu pour feu » donne à la tragique réalité de ce qu’il est convenu d’appeler un « fait-divers » une dimension que seule la littérature peut apporter. Là où l’anonyme foule ne verra que la conséquence d’une mauvaise éducation ou d’un défaut d’intégration, Carole Zalberg fouille le tréfonds des causes. Jamais elle ne juge ni ne justifie, elle est seulement la voix qui prête sa poésie à deux êtres étreints de désespoir, séparés de silence. Deux monologues qui s’entrechoquent et diffèrent autant par le vocabulaire que la chronologie, l’un disant le passé et l’autre le présent jusqu’à ce qu’ils se rejoignent en une même fêlure.
Re: Feu pour feu Carole Zalberg
bel article, sans doute à la mesure de le roman qui l'inspire.
tu m'as donné envie de le lire
(et de te lire)
(et de te lire)
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