Extrait d’une œuvre en cours, intitulée Hors-Service, dont un autre extrait a été publié dans le recueil Sponda, en décembre 2013.
L’histoire se déroule dans les années 1760, à Ajaccio. Un jeune voyageur anglais, William Hervey, a été arrêté à sa descente du navire par le pouvoir génois. Il parvient à s’enfuir du cachot où trois hommes de main le torturaient, le prenant pour un espion.
Les passages en italique sont des citations, parfois recomposées (FXR).
L’histoire se déroule dans les années 1760, à Ajaccio. Un jeune voyageur anglais, William Hervey, a été arrêté à sa descente du navire par le pouvoir génois. Il parvient à s’enfuir du cachot où trois hommes de main le torturaient, le prenant pour un espion.
Les passages en italique sont des citations, parfois recomposées (FXR).
Billes d’étain Papillons éparpillés
Un Jour, les humains seront comme des papillons éparpillés,
Les montagnes comme des flocons effilochés.
Celui dont la pesée sera lourde
Sera agréé pour la Vie.
Celui dont la pesée sera légère
Aura l’abîme pour mère.
Mais qui t’apprendra ce qu’il est ?
Un Feu torride !
Chemin de l’aube égalisant les dunes.
Le temps a passé.
Il est temps de se soulager.
Gris sur gris, William Hervey fond sa silhouette dans la brume d’un petit matin encore tout mouillé de nuit, comme une eau d’aquarelle. L’indistincte nature permet sa fuite.
1747. Helston. Cornouailles.
William Hervey allait écouter les prédicateurs – John Wesley lui-même parfois ! – flanqué de son grand frère. Ils prêchaient sur les places et dans les rues – toujours adossés à une colonne, une stèle, un piquet, parfois même juchés sur une tombe – Comment John Wesley aurait-il pu être un démon, lui qui, debout sur la tombe de son propre père, nous parlait, nous parlait encore, comme si cette tombe avait été sa source ? Et de fait…
William écoutait donc ceci :
Where shall my wondering soul begin ?
How shall I all to heaven aspire ?
A slave redeemed from death and sin,
A brand plucked from eternal fire,
How shall I equal triumphs raise,
Or sing my great Deliverer’s praise ?
William écoutait cela, mais il entendit ceci :
Where shall my wandering soul begin ?
Les soldats s’épuisent et ne paraissent sortir du mauvais rêve que fut cette course après l’Anglais que pour rentrer dans le cauchemar d’une journée de garnison. Jusqu’à quand supporteraient-ils ce vide organisé qu’était leur temps de service dans l’île ? Depuis longtemps déjà, ils flottent, comme des flocons de vapeur. Ils tournent autour du golfe, au gré des orages et des vents. En fermant les yeux, William Hervey voit une dernière fois leurs visages, leurs trognes tordues – ils auraient martyrisé le Christ au visage doux et endormi – tordues par la peur et par l’ennui : Giacomo, Paolo, Domenico (car ils se sont nommés, dans la nuit du cachot, à tour de rôle, appelant le compère à prendre le relais, et à cogner plus fort).
Giacomo : L’un des affreux arbore une pièce de monnaie sur le crâne, pour colmater une trépanation… Il est vieilli, plutôt que vieux, les cheveux rares, une méchante couverture mitée de poils sur les joues, le regard dur, c’est Giacomo, l’affreux Giacomo. Et voici une anecdote à propos de ce Giacomo, il avait étripé un chat, ou tenté, un chat sauvage, u gattuvolpe, il l’avait enfourché contre une poutre en bois, chat énorme et hurlant, et retirant la fourche, le chat – alors qu’il venait d’être percé de part en part – s’enfuit alors à toute allure : on ne le revit plus jamais. Giacomo – le héros – en resta pétrifié ; la pièce de monnaie, un souvenir d’un coup de casse-tête d’un Alguonquin, les méandres de la vie… « Paolo, frappe-le encore ! » « Ce Domenico, c’est un double zéro ! Une merde. »
Paolo : L’un des affreux porte un bonnet bleu cassé vers l’arrière du crâne, quelques cheveux gras en sortent et couvrent ses tempes, un visage cireux, huileux, un long nez aquilin recourbé vers la lèvre supérieure, des lèvres luisantes découvrant deux rangées de dents écartées par une grosse langue sombre et humide. Et des yeux, ah ! exorbités, voyant quoi, on ne sait, voyant partout l’objet de ses désirs vicieux. Il est visiblement cruel. Il y a passera du temps, tout le temps qu’on lui accordera, à faire du mal, à faire souffrir. C’est parce qu’au fond de lui, Paolo est hanté par la peur, il veut être craint ; et au moment même où il déchire les chairs d’un prisonnier ou le ventre d’une prisonnière, il tremble. Comme une feuille. « Giacomo, laisse-le moi… Il parlera, oh oui, il dira bien quelque chose. » « Domenico, mon petit ami, viens donc par ici… »
Domenico : L’un des affreux a le front ceint d’un bandeau blanc dont les extrémités sont des franges, fines, le tout retenant ou faisant semblant de retenir une masse de cheveux bouclés. Un nez retroussé de porc à la bouche ouverte, le goinfre qui fait le beau jeune homme. Des petits yeux un peu globuleux, deux dents pointant hors de la bouche, deux dents de la mâchoire supérieure. Mais alors, aussi, de la barbe un peu partout et, à droite et à gauche du menton, deux boucles ornées chacune d’une perle. Le portrait même du séducteur violent. Il ne supportera pas qu’on lui résiste. En fait, il attend de sortir de ce trou à rat de garnison maudite. « C’est ici que nous mourrons, ici plus aucun vent ne nous permettra de partir, oh Paolo ! » « Sacré Giacomo, tu… aimes plaisanter, hein ? Garde tes plaisirs pour… d’accord ? »
Chemin de l’aube égalisant les dunes.
William Hervey se trouve face à un petit bras de sable qui conduit au bout d’un cap, ou à l’un de ses bouts, couvert de maquis. Il passe.
Il se retourne. Le cercle du golfe s’offre entièrement dans une lumière diffuse et intense à la fois, comme voilée. À l’ouest, et à sa main droite, le cercle du soleil est absolument invisible. Le ciel n’est qu’un immense nuage infini. Face à lui, les collines entourant l’étroite vallée et couvrant l’autre bras du golfe s’érodent en dunes au contact de la masse mouvante et grisée de la mer. Puis ces mêmes collines se rengorgent fièrement pour monter, vers l’est et à sa main gauche, à l’assaut des montagnes noircies par la nuit encore timide. Les collines, elles, sont comme des petits pains, couvertes de forêts, piquées çà et là de petites plaques de maquis.
Après quelques instants, à force de porter ses regards vers le paysage qui lui fait face, il aperçoit les trois silhouettes, son cerbère personnel, arpentant les dunes, visiblement en direction d’Ajaccio. Ils s’éloignent. Vers le sud. Derrière ces dunes, Ajaccio. La baie et les orages. Il est possible de les envisager, maintenant qu’il s’en est éloigné, avec une sorte d’assurance.
Le ciel opaque d’une fin d’après-midi.
Il s’est assis. Il les voit ramper sur leur petite ligne d’horizon, ils transportent leurs petits corps, à la queue leu leu – se rejoignent parfois, parfois l’un d’eux disparaît (tombe ?), signe lointain de la rudesse de leurs contacts.
Avancez donc. Avancez donc, vers votre enfer.
Adossé à un tronc, un arbousier, il contemple le ciel, les mains jointes, bras formant une amande.
« La mer ! m’écriai-je
- Oui –
Une vaste nappe d’eau le commencement
Au-delà des limites de la vue
Le rivage largement offrait
Aux ondulations un sable
Parsemé de coquillages
La création
Les flots s’y brisaient sonores immenses
Une légère écume au souffle
Au visage
Si mes regards
Se promener sur cette mer
C’est qu’une lumière les moindres détails
Non pas ni non –
Le pouvoir éclairant de cette lumière, sa diffusion tremblotante, sa blancheur claire et sèche, le peu d’élévation de sa température, son éclat supérieur en réalité à celui de la lune, accusaient évidemment une origine électrique. –
Un phénomène cosmique
Qui remplissait : contenir un océan –
De grands nuages –
Parfois, les yeux mi-clos, il joue avec l’objet de ses visions et leur dessine, comme au fond de son crâne, une autre allure, aux contours plus flous, plus sombres, et plus grandioses en même temps. Comme un triomphe doux, presque silencieux, une scène de joie occupant tout le fond de la scène. Capo di Feno, enfin.
Il se met à pleuvoir.
François-Xavier Renucci
Illustration : La décapitation de Saint Paul, Enrique Simonet, 1887.
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