Chagall nous parle, par l'entremise de Barbara Ettori Morandini. Qu'avait-il a dire, encore, d'une toile de 1917 ? Des mots d'outre-tombe, sans doute, pour évoquer une vie, et un amour perdu.
Aujourd'hui j'ai le droit de mourir.
Je pense avoir enfin honoré ma promesse, j'ai vécu presque centenaire et assez de souffrances pour mériter de partir.
J'ai connu la faim, le froid, la misère, deux guerres mondiales et l'exil mais le vrai calvaire, pour moi, à débuté le jour où elle a disparu.
Elle m'avait fait promettre de vivre et de mourir très vieux. Pour Ida, notre fille. Je lui ai fait ce cadeau. Le dernier, celui qui m'a couté le plus cher de toute ma vie.
Lorsque je l'ai rencontrée, c'était une enfant aux yeux des autres, c'était déjà tout simplement Elle aux miens. Elle m'a regardé et c'est comme si elle me connaissait depuis longtemps, comme si elle savait tout de mon enfance, de mon présent, de mon avenir, comme si elle veillait sur moi : j'ai senti que c'était elle, ma femme. Elle n'avait que quatorze ans . Je n'étais pas très vieux non plus, huit ans de plus, j'étais surtout très pauvre.
Ses parents si riches ont, bien entendu, désapprouvé cet amour si pur.
Je reconnais deux qualités à ces personnes : ils l'ont créée et l'ont parfaitement prénommée Bella.
Aujourd'hui cela fait plus de quarante ans qu'elle n'est plus là, je pense avoir enfin le droit de la rejoindre, ma princesse.
Un soleil d'hiver caresse mon visage ridé ce matin. C'est un soleil de riche, un soleil provençal et pourtant j'ai froid, rien n'a plus jamais réussi à me réchauffer.
Le jour de ma rencontre avec Bella, il faisait froid et humide à Vitebsk mais je brûlais à l'intérieur. Quand elle est entrée dans mon atelier, tout s'est illuminé. J'étais en train de peindre, elle a regardé ma toile sans sourciller. Pensant faire de l'esprit, je lui ai dit : « L'art, c'est l'effort inlassable d'égaler la beauté des fleurs sans jamais y arriver ».
Elle m'a simplement souri.
Pour ses vingt ans, nous nous sommes mariés et nous sommes partis vivre en France, à Paris, notre deuxième pays. La grande guerre avait éclaté mais nous ne nous en rendions pas compte, enivrés que nous étions de notre vie de bohème.
L'Histoire nous rattrapa alors que nous pensions effectuer un court séjour à Vitebsk et qu'on ne nous en laissa plus partir et ce pendant plusieurs mois.
Ce qui pouvait être ressenti comme un événement triste, fut la période de bonheur la plus intense de ma vie.
Bella était une magicienne, une fée. Nous étions infiniment amoureux et ensemble, enlacés, nous n'avions pas de frontière. Nous volions au dessus de la ville.
Sur cette toile, peinte à l'époque, je serre contre moi Bella. Pour la protéger comme pour pouvoir bénéficier de sa féerie. Elle seule avait le pouvoir de l'évasion, je n'ai plus pu voler depuis que j'ai perdu mes ailes.
Barbara Ettori Morandini
Illustration : Marc Chagall, Vol au dessus de la ville, 1917.
Aujourd'hui j'ai le droit de mourir.
Je pense avoir enfin honoré ma promesse, j'ai vécu presque centenaire et assez de souffrances pour mériter de partir.
J'ai connu la faim, le froid, la misère, deux guerres mondiales et l'exil mais le vrai calvaire, pour moi, à débuté le jour où elle a disparu.
Elle m'avait fait promettre de vivre et de mourir très vieux. Pour Ida, notre fille. Je lui ai fait ce cadeau. Le dernier, celui qui m'a couté le plus cher de toute ma vie.
Lorsque je l'ai rencontrée, c'était une enfant aux yeux des autres, c'était déjà tout simplement Elle aux miens. Elle m'a regardé et c'est comme si elle me connaissait depuis longtemps, comme si elle savait tout de mon enfance, de mon présent, de mon avenir, comme si elle veillait sur moi : j'ai senti que c'était elle, ma femme. Elle n'avait que quatorze ans . Je n'étais pas très vieux non plus, huit ans de plus, j'étais surtout très pauvre.
Ses parents si riches ont, bien entendu, désapprouvé cet amour si pur.
Je reconnais deux qualités à ces personnes : ils l'ont créée et l'ont parfaitement prénommée Bella.
Aujourd'hui cela fait plus de quarante ans qu'elle n'est plus là, je pense avoir enfin le droit de la rejoindre, ma princesse.
Un soleil d'hiver caresse mon visage ridé ce matin. C'est un soleil de riche, un soleil provençal et pourtant j'ai froid, rien n'a plus jamais réussi à me réchauffer.
Le jour de ma rencontre avec Bella, il faisait froid et humide à Vitebsk mais je brûlais à l'intérieur. Quand elle est entrée dans mon atelier, tout s'est illuminé. J'étais en train de peindre, elle a regardé ma toile sans sourciller. Pensant faire de l'esprit, je lui ai dit : « L'art, c'est l'effort inlassable d'égaler la beauté des fleurs sans jamais y arriver ».
Elle m'a simplement souri.
Pour ses vingt ans, nous nous sommes mariés et nous sommes partis vivre en France, à Paris, notre deuxième pays. La grande guerre avait éclaté mais nous ne nous en rendions pas compte, enivrés que nous étions de notre vie de bohème.
L'Histoire nous rattrapa alors que nous pensions effectuer un court séjour à Vitebsk et qu'on ne nous en laissa plus partir et ce pendant plusieurs mois.
Ce qui pouvait être ressenti comme un événement triste, fut la période de bonheur la plus intense de ma vie.
Bella était une magicienne, une fée. Nous étions infiniment amoureux et ensemble, enlacés, nous n'avions pas de frontière. Nous volions au dessus de la ville.
Sur cette toile, peinte à l'époque, je serre contre moi Bella. Pour la protéger comme pour pouvoir bénéficier de sa féerie. Elle seule avait le pouvoir de l'évasion, je n'ai plus pu voler depuis que j'ai perdu mes ailes.
Barbara Ettori Morandini
Illustration : Marc Chagall, Vol au dessus de la ville, 1917.
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