C'est avec l'aimable autorisation de Musanostra que nous reproduisons ici une critique du livre de Cesari d'abord mise en ligne sur le site de l'association*. Pour faire écho à un auteur que l'on aime, et aux initiatives qui valorisent la littérature, et notamment la poésie.
Lire, amputé de sa moitié, le recueil d’Etienne. Ce que je fais en me tenant sur une page comme sur une jambe, ignorant l’autre ou presque, celle de gauche.
C’est quoi le moindre geste ?
Cette topographie étrange ? Car je ne lis pas la page de gauche. Elle me reste étrangère. Car je n’ai pas accès à tout un pan du texte qui en est une de ses modalités – Corse et Français, transposer une même tension dans deux univers linguistiques.
Est-ce la tension vers le silence justement, tension que les deux langues opèrent conjointement, presque aussi ténues dans l’usage que le poète en fait ? La forme poétique lorsqu’elle est vraie n’implique-t-elle pas cette tension ? La parole d’Etienne est parole sur la corde raide ou comment dire le plus en disant le moins et comment cette économie drastique produit une implosion tellement mesurée que le poème se joue ailleurs. Ailleurs que dans le sème et son correspondant. Ailleurs que dans la représentation elle-même.
Est-ce ce dialogue avec une présence qui s’est retirée ? Comment dire un corps qui n’est plus ? Comment saisir la voix de l’Autre quand l’accueillir comporte à chaque instant le risque de la briser ? Comment dire la substance ? Et comment dire, de la substance, le noyau précisément ? Comment dire l’absolue singularité ? Hermétique ? Pas le moins du monde, lorsqu’on sait que le poème se joue ailleurs, à l’intérieur du corps que le verbe césure, dans la syncope du sentir, dans le péril même de la langue qui n’entend plus seulement signifier et qui se hisse violemment vers son envers.
Mais comment ? Le tissage est subtil. Il s’agit bien de rendre quelque chose de l’origine. Etienne le fait à plusieurs voix, comme pour défaire encore mieux l’image, le texte, le corps, la représentation. La tension vers le peu est matière du dire et elle se ramifie. Plus elle s’affine, plus elle s’abstrait de la matière, plus elle s’incarne dans le lourd du temps et du corps. Etienne devient l’orfèvre du détail. Il aiguise son regard à la limite du percevoir, dans l’espace du Moindre Geste, dans l’exigence d’un amour qui se passerait de mots.
Et oui ! Ce long poème entrecoupé de brisements nous raconte au final une histoire. Et c’est la Même. Toujours. C’est l’histoire de la perte, la longue histoire du vivant aux prises avec lui-même. Elle va de pair avec la nostalgie sans faille d’un Avant, celle de l’enfance qui bruit entre les lignes, que le poème veut saisir, qu’il entrevoit par fulgurances.
Avant le dire, le corps majestueux est tout d’un bloc, l’harmonie palpable. Le poème de Stefanu articule au plus près cette fragmentation, le drame de la conscience ou le miracle du langage comme surgissement. Les espaces font cadence et les deux langues ensemble refont sans doute une totalité. Elle est bicéphale. Son élaboration est lente mais procède aussi du furieux glissement des secondes. Elle retrace sans doute le chemin vers l’être que l’indicible dit si bien, à coup d’esquives et de blancs, dans cette mise à nu du verbe si tranchée. La poésie d’Etienne reste un mystère. Et c’est tant mieux.
Il s’agit d’agencer les deux moitiés d’un monde, les deux faces du temps – l’Eternel et l’instant que le poème couvre -, les deux parties de soi – celle emmêlée à l’Origine et celle qui crie, libre, et qu’on entend, qu’on sent. La besogne est Barbare dirait Rimbaud. Elle nous laisse pantelants au-dessus du texte. L’ombre portée en est compacte, d’une grande densité.
Née de l’absence, la poésie de Stefanu trace un sillon dans la matière tenace du présent.
Cécile Trojani
Passe une ombre entière, dans le rêve
vous donne matière à dire, noire comme le grand reste
elle fait battre au poignet, dans le rêve, une boucle
presque infinie
à vivre
s’il ne restait rien on croirait encore aux traces, un peu ;
pas beaucoup ; juste
que le sang continue de couler contre
on porterait le combat plus loin
le cacherait dans les feuilles mortes. Le corps
répondant, aussi blanche que l’aube, la peau recommence
On parlerait
volontiers
au bout de cette table
votre voix dans la nôtre cherchant ce mot qui ne vient pas.
une image ? de vous, la main dans les tiroirs.
sous de vieux cierges, les pains secs et les coupures de journaux
un ciseau qui se ferme en crissant, pour tailler dans le tissu
suggérer aux nerfs la tension d’un rappel, un motif.
nous sommes trop loin diriez-vous.
parler.
comme traverser des forêts mortes pour y couper un arbre
ou. parler. comme n’aller nulle part
* La mise en ligne initiale :
http://www.musanostra.fr/Le%20moindre%20geste,%20U%20minimu%20gestu%20de%20Stefanu%20Cesari.html
Lire, amputé de sa moitié, le recueil d’Etienne. Ce que je fais en me tenant sur une page comme sur une jambe, ignorant l’autre ou presque, celle de gauche.
C’est quoi le moindre geste ?
Cette topographie étrange ? Car je ne lis pas la page de gauche. Elle me reste étrangère. Car je n’ai pas accès à tout un pan du texte qui en est une de ses modalités – Corse et Français, transposer une même tension dans deux univers linguistiques.
Est-ce la tension vers le silence justement, tension que les deux langues opèrent conjointement, presque aussi ténues dans l’usage que le poète en fait ? La forme poétique lorsqu’elle est vraie n’implique-t-elle pas cette tension ? La parole d’Etienne est parole sur la corde raide ou comment dire le plus en disant le moins et comment cette économie drastique produit une implosion tellement mesurée que le poème se joue ailleurs. Ailleurs que dans le sème et son correspondant. Ailleurs que dans la représentation elle-même.
Est-ce ce dialogue avec une présence qui s’est retirée ? Comment dire un corps qui n’est plus ? Comment saisir la voix de l’Autre quand l’accueillir comporte à chaque instant le risque de la briser ? Comment dire la substance ? Et comment dire, de la substance, le noyau précisément ? Comment dire l’absolue singularité ? Hermétique ? Pas le moins du monde, lorsqu’on sait que le poème se joue ailleurs, à l’intérieur du corps que le verbe césure, dans la syncope du sentir, dans le péril même de la langue qui n’entend plus seulement signifier et qui se hisse violemment vers son envers.
Mais comment ? Le tissage est subtil. Il s’agit bien de rendre quelque chose de l’origine. Etienne le fait à plusieurs voix, comme pour défaire encore mieux l’image, le texte, le corps, la représentation. La tension vers le peu est matière du dire et elle se ramifie. Plus elle s’affine, plus elle s’abstrait de la matière, plus elle s’incarne dans le lourd du temps et du corps. Etienne devient l’orfèvre du détail. Il aiguise son regard à la limite du percevoir, dans l’espace du Moindre Geste, dans l’exigence d’un amour qui se passerait de mots.
Et oui ! Ce long poème entrecoupé de brisements nous raconte au final une histoire. Et c’est la Même. Toujours. C’est l’histoire de la perte, la longue histoire du vivant aux prises avec lui-même. Elle va de pair avec la nostalgie sans faille d’un Avant, celle de l’enfance qui bruit entre les lignes, que le poème veut saisir, qu’il entrevoit par fulgurances.
Avant le dire, le corps majestueux est tout d’un bloc, l’harmonie palpable. Le poème de Stefanu articule au plus près cette fragmentation, le drame de la conscience ou le miracle du langage comme surgissement. Les espaces font cadence et les deux langues ensemble refont sans doute une totalité. Elle est bicéphale. Son élaboration est lente mais procède aussi du furieux glissement des secondes. Elle retrace sans doute le chemin vers l’être que l’indicible dit si bien, à coup d’esquives et de blancs, dans cette mise à nu du verbe si tranchée. La poésie d’Etienne reste un mystère. Et c’est tant mieux.
Il s’agit d’agencer les deux moitiés d’un monde, les deux faces du temps – l’Eternel et l’instant que le poème couvre -, les deux parties de soi – celle emmêlée à l’Origine et celle qui crie, libre, et qu’on entend, qu’on sent. La besogne est Barbare dirait Rimbaud. Elle nous laisse pantelants au-dessus du texte. L’ombre portée en est compacte, d’une grande densité.
Née de l’absence, la poésie de Stefanu trace un sillon dans la matière tenace du présent.
Cécile Trojani
Passe une ombre entière, dans le rêve
vous donne matière à dire, noire comme le grand reste
elle fait battre au poignet, dans le rêve, une boucle
presque infinie
à vivre
s’il ne restait rien on croirait encore aux traces, un peu ;
pas beaucoup ; juste
que le sang continue de couler contre
on porterait le combat plus loin
le cacherait dans les feuilles mortes. Le corps
répondant, aussi blanche que l’aube, la peau recommence
On parlerait
volontiers
au bout de cette table
votre voix dans la nôtre cherchant ce mot qui ne vient pas.
une image ? de vous, la main dans les tiroirs.
sous de vieux cierges, les pains secs et les coupures de journaux
un ciseau qui se ferme en crissant, pour tailler dans le tissu
suggérer aux nerfs la tension d’un rappel, un motif.
nous sommes trop loin diriez-vous.
parler.
comme traverser des forêts mortes pour y couper un arbre
ou. parler. comme n’aller nulle part
* La mise en ligne initiale :
http://www.musanostra.fr/Le%20moindre%20geste,%20U%20minimu%20gestu%20de%20Stefanu%20Cesari.html
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